Jennifer Tremblay et Sylvie Drapeau concluent de façon mémorable leur trilogie sur la maternité avec La délivrance.

Une mère mourante veut revoir son fils pour la première fois en 20 ans. Avant qu'il ne soit trop tard: juste le voir, peut-être lui tenir la main.

Elle enjoint à sa fille, toujours restée à portée de voix de sa mère, de le retrouver, de le ramener à la raison pour de convenables adieux.

Mais rien ne convient dans une famille reconstituée, fêlée, brinquebalante. Entre deux pères, trois enfants et une mère. Le calme apparent occulte des relations complexes, des conflits familiaux larvés, de grandes et petites haines entre parents, beaux-parents et enfants. Entre l'égoïsme cruel des uns et le total don de soi des autres.

La pièce décrit le machisme ordinaire, celui de l'autorité et de la domination séculaire des hommes. Hier et aujourd'hui, ici même au Québec. Le texte parle de ces femmes qui les aiment malgré tout, qui les attendent et désespèrent parfois. Mais dont l'amour ne fléchit jamais.

Quoiqu'ennuyée par quelques trous de mémoire lors de la première médiatique, Sylvie Drapeau envoûte, déroute, charme et émeut.

Elle joue cette partition de virtuose en faisant toutes les voix des personnages, changeant parfois de peau dans une même phrase, sans reprendre son souffle.

Avec délicatesse et subtilité, la mise en scène de Patrice Dubois appuie cette performance exceptionnelle en l'installant sur une scène centrale et longiligne, enclavée entre un Christ en croix et un lit de mort. Scénographie, éclairages et musiques impeccables couronnent ce spectacle qui sait parler franchement de trahison et d'aveuglement, de lâcheté et de résilience.

Jennifer Tremblay conclut ainsi brillamment une trilogie marquante dans la dramaturgie contemporaine québécoise.

Avec ses élans poétiques et ses traces d'humour, cette écriture dit et redit que la lutte intranquille des femmes est loin d'être finie, comme le souligne ce leitmotiv de la pièce: «Comment dire à une mère que son fils ne veut pas la voir?»

«Je suis là» est la seule véritable réponse que peut donner la fille tenue pour acquise, incomprise, ignorée. Les femmes sont toujours là. Au propre et au figuré, les hommes, eux, restent plus que souvent absents. Cruellement.

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La délivrance. Texte de Jennifer Tremblay. Mise en scène de Patrice Dubois. Au Théâtre d'Aujourd'hui, jusqu'au 15 octobre. 

Photo Valérie Remise, fournie par le Théâtre d’Aujourd’hui

Seule sur scène, Sylvie Drapeau incarne tous les personnages à la fois.