Lorsque Robert Charlebois a lancé à la blague que le spectacle hommage à Beau Dommage, l'an dernier, avait été une «belle répétition» pour le sien, il n'avait pas tout à fait tort.

Pour ce spectacle beaucoup moins linéaire que Le monde est fou, qui a inauguré l'amphithéâtre extérieur de Trois-Rivières l'été dernier, le Cirque du Soleil a misé sur la folie et l'excentricité de Robert Charlebois en puisant dans son répertoire rock pour créer un spectacle acrobatique avec du ressort, visuellement très riche.

Tout écartillé s'ouvre de belle manière sur les paroles du Mur du son («je veux être plus qu'un oiseau, plus qu'un avion, un UFO, je veux être un météorite, vous entraîner dans mon orbite...»). Arrive alors le personnage de Lindberg, alter ego de Charlebois, qui servira de fil conducteur. La table est mise et de belle manière.

Jupettes et pompons, shorts et t-shirts aux couleurs vives, vélos bananes et motos rutilantes, projections de spirales psychédéliques, toute l'époque hippie des années 70 y est représentée.

Un feu roulant

Dès le premier numéro de barre russe sur CPR Blues, le spectacle décolle. J't'aime comme un fou, Lindberg et Les ailes d'un ange s'enchaînent. Sans oublier les ballades Je reviendrai à Montréal et Ordinaire, qui se termine par un saut dans le vide! Après la première de mercredi dernier, Charlebois a avoué avoir été remué par cet extrait.

Non seulement les numéros acrobatiques sont en parfaite harmonie avec la musique, mais le metteur en scène Jean-Guy Legault et la scénographe Geneviève Lizotte ont réussi à bien lier les tableaux entre eux.

Un feu roulant de près de 90 minutes, ponctué de quelques accalmies, notamment avec l'apparition d'un fil-de-fériste qui traverse la scène - à au moins deux reprises.

Parmi les moments forts, notons le numéro de tissu aérien à cinq - sur scène et au-dessus de la foule - sur la pièce Le mont Athos; les numéros de banquine et de contorsion sur Te v'là; le numéro de manipulation de boîtes à cigares d'Eric Bates (révélé dans la pièce Séquence 8 des 7 doigts), ainsi que les numéros de diabolos et de cerceau - de la flamboyante Alexandra Royer - dans une très belle version remixée de Fu Man Chu. Sans oublier le numéro final de «Roue de la mort».

Un réenregistrement discutable

Ce qui nous amène à parler de la direction musicale de Jean-Phi Goncalves. On le sait, Charlebois a enregistré une quinzaine de ses chansons pour les besoins du spectacle. Même s'il trouve qu'il chante mieux qu'avant, le résultat est décevant et l'on perd le «son» original du jeune Charlebois - son urgence, son intempestivité, ses râles.

Comment se prépare-t-on, à 72 ans, pour reprendre Tout écartillé, Te v'là ou Dolorès, des chansons où Charlebois poussait la note haut et multipliait les hululements? Comment «recréer» l'ambiance et l'état d'esprit de l'époque sans être physiquement sur scène? Sans les «crisses» de Louise Forestier dans Lindberg? Le choix de réenregistrer ces chansons ne me paraît pas judicieux - parole d'un raté sympathique.

Cela dit, Charlebois tient la note et ceux qui n'ont jamais écouté les enregistrements de Québec Love ou de Solidaritude ne seront pas autrement choqués. Mais dans le contexte d'un spectacle acrobatique inspiré par le rock psychédélique francophone de l'époque (une petite révolution au Québec!) et toute son imagerie, l'absence de la voix originale de Charlebois est une perte.

Que cela ne vous décourage pas. Le Cirque réussit avec Tout écartillé à créer un spectacle acrobatique d'une rare intensité. Un bel exemple où la musique s'imbrique parfaitement dans le cirque.

Tout écartillé est le deuxième de cinq spectacles exclusifs que le Cirque s'est engagé à créer à Trois-Rivières dans le cadre de sa série hommage. Après Beau Dommage et Charlebois, sur qui le Cirque jettera-t-il son dévolu l'été prochain? Harmonium? Les Colocs? Diane Dufresne? Les paris sont ouverts...

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À l'amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières jusqu'au 13 août.

Photo Oli Croteau, Le Nouvelliste

Tout écartillé se déroule dans une ambiance psychédélique, à l'image de la musique de Charlebois dans les années 70.