«Voilà l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le coupable.» Cette réplique de Vladimir à son vieil ami Estragon résume un peu En attendant Godot. Au lendemain des horreurs des camps de concentration et de la Seconde Guerre mondiale, Samuel Beckett a écrit sa plus célèbre pièce pour exposer l'absurdité de l'aventure humaine: les hommes passent leur vie à combler le vide en attendant la mort.

Dans la nouvelle production du TNM dirigée par François Girard, la quête existentialiste de Beckett demeure actuelle. Elle a bien sûr perdu son parfum de scandale, certes les victimes ont changé, mais la peur du vide est semblable. L'approche de Girard se veut donc respectueuse de l'oeuvre (il le faut). Dans cette tragi-comédie, on est face à un «jeu qui a pour fin la survie».

Avec le temps

Le premier acte s'ouvre au moment où Estragon (Benoît Brière) se bat avec sa chaussure, assis dans le sable au pied d'un arbre rachitique. Le scénographe François Séguin fait un clin d'oeil au monticule en forme de mamelon d'Oh les beaux jours (du même Beckett), suspendu au-dessus de la scène, mais ici transformé en sablier, et éclairé par la brillante lumière de David Finn. Magnifiques décor et éclairages qui campent l'action et le temps de la pièce, tout en distillant le sens de l'oeuvre.

Pour Beckett, le théâtre n'est qu'attente. Sa proposition est à la fois géniale (Godot, créée à Paris en 1953, va révolutionner le théâtre moderne) et exigeante.

La trame de la pièce est simple. Deux jours d'affilée, deux hommes à l'allure de vagabonds attendent sur le bord d'un chemin, au milieu de nulle part, un certain monsieur Godot. Ils ont l'espoir que ce dernier va les sauver. Qui est ce Godot? Personne ne le sait. Pourquoi les protagonistes cherchent-ils une rédemption? Aucune réponse. Didi et Gogo croiseront un tyran narcissique, Pozzo (très bon Pierre Lebeau) et son homme de peine, Lucky (Emmanuel Schwartz, stupéfiant!).

Le deuxième acte est la répétition du premier en accéléré. Le décor inversé suggère que tout ce qu'on a vu au premier acte n'est qu'illusion... Les deux amis se séparent, reviennent ensemble, s'étreignent, pour mieux recommencer leur éternelle attente.

«Entendre» les silences

François Girard peut compter sur quatre des acteurs les plus talentueux au Québec. Si le duo Alexis Martin et Benoît Brière semble surprenant au départ (il est difficile d'effacer le souvenir du duo Rémy Girard et Normand Chouinard dans la production signée André Brassard au TNM en 1992), la chimie opère mieux entre les deux acteurs au deuxième acte.

La mise en scène de Girard contient plusieurs beaux moments, mais elle n'évite pas les longueurs (le spectacle dure trois heures). Comme si le metteur en scène n'avait pas trouvé le rythme propre à la musique de Beckett. Cette partition précise dans laquelle il faut «entendre» chaque silence, chaque pause, chaque point de suspension.

Rien qui ne puisse être ajusté au fil des représentations, surtout avec l'admirable quatuor d'interprètes qu'il faut à tout prix aller applaudir au TNM.

* * * 1/2

En attendant Godot. De Samuel Beckett. Mise en scène de François Girard. Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu'au 31 mars.