Le Rideau Vert conclut sa saison de belle façon avec cette adaptation théâtrale du roman de Vahé Katcha, Le repas des fauves, paru dans les années 60. Une comédie philosophique défendue par un solide groupe d'acteurs que Denise Filiatrault a dirigé avec son habituel sens du punch.

Nous sommes en France, sous l'Occupation allemande. Malgré la guerre permanente, Victor invite chez lui quelques-uns de ses amis pour fêter l'anniversaire de sa femme Sophie. Sauf qu'au milieu de la soirée, deux soldats allemands sont abattus en face de leur immeuble, sous leurs yeux.

Un officier allemand cherche réparation. En attendant de retrouver le meurtrier, il s'en prend aux locataires de l'immeuble. Pour chacun des soldats tués, 10 otages sont réclamés. En gros, deux par appartement. Puisqu'ils sont sept chez Victor, l'officier leur demande de choisir, entre eux, les deux personnes qui se livreront.

Qui mérite de survivre?

La pièce, qui s'ouvre sous les meilleurs auspices, s'assombrit. Évidemment, personne ne veut se livrer, d'autant plus que les otages finissent à peu près tous par être fusillés. Qui mérite de survivre? Le médecin qui abandonnerait ainsi ses patients? L'ex-résistant qui a perdu la vue? La jolie Sophie qui a toute la vie devant elle?

C'est dans ce contexte crispé que le repas se poursuit, puisque l'officier leur laisse deux heures pour choisir. C'est aussi à ce moment que craque le vernis de ces amitiés, pas toujours sincères. En temps de guerre, c'est bien connu, chacun tente de sauver sa peau et c'est exactement ce que font ces sept amis.

C'est le personnage d'André, interprété par Marc Béland, qui fait le plus de «steppettes» pour éviter d'être choisi. Malgré son élocution altérée par un mouvement de mâchoire un peu agaçant, l'acteur joue parfaitement son rôle de pleutre, prêt à vendre sa mère pour être gracié. C'est lui qui orchestre cette mise en pâture.

Autour de lui, Jean-François Casabonne, Patrice Coquereau et Benoît McGinnis nous offrent les meilleurs moments comiques de ce jeu cruel dont la finale est brillante. Seul François-Xavier Dufour, pourtant un acteur de premier plan, ne trouve pas le bon ton, affichant un air beaucoup trop affecté et jouant faux la plupart du temps.

Question délicate

Au-delà du contexte de la Seconde Guerre mondiale, presque secondaire en vérité, Vahé Katcha pose la délicate question du fondement de l'amitié et de la lâcheté en ces temps troubles.

Tout l'intérêt de la pièce Le repas des fauves est là, mais si d'autres l'ont fait avant (et après) lui.

Il nous vient d'ailleurs en tête cet extrait de La chute d'Albert Camus, qui en son temps interrogeait les bases de l'amitié...

«On m'a parlé d'un homme dont l'ami avait été emprisonné et qui couchait tous les soirs sur le sol de sa chambre pour ne pas jouir d'un confort qu'on avait retiré à celui qu'il aimait, écrit-il. Qui, cher monsieur, qui couchera sur le sol pour nous?» Malheureusement, on est bien obligé de répondre: personne.

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Jusqu'au 6 juin au Rideau Vert.