« Jésus Christ, fils de Dieu, [est] venu sur terre pour effacer les péchés du monde, mais il avait oublié sa gomme », ironisait Pierre Desproges. Si Trey Parker et Matt Stone n'ont jamais connu le regretté auteur de Chronique de la haine ordinaire, le duo partage pourtant sa vision satirique et irrévérencieuse, ludique et blasphématoire, de la religion. De toutes les religions.

En compagnie de Robert Lopez (Avenue Q), les auteurs de South Park ont donc créé en 2011 à Broadway la comédie musicale The Book of Mormon; en pariant arriver à séduire les amateurs de Cats ou Guys and Dolls avec le récit du prosélytisme de missionnaires membres de la stricte Église chrétienne basée en Utah...

Les créateurs n'ont pas eu besoin de prier longtemps pour connaître le succès: avec neuf Tony Awards, incluant celui de la meilleure comédie musicale en 2012, une pléthore de critiques dithyrambiques, de lucratives productions en Europe et Amérique du Nord, The Book of Mormon est assurément un hit.

Cette production est-elle aussi à la hauteur de son succès? Oui.

La troupe de la tournée est-elle de qualité égale aux distributions de Broadway? Oui.

Est-ce que The Book of Mormon est trop choquant ou trop offensant pour un public de croyants? Non.

Ce spectacle de deux heures et demie est drôle, rythmé et huilé au quart de tour. La mise en scène signée par Parker et Casey Nicholaw est précise et rigoureuse. Les interprètes sont tous de jeunes et habiles professionnels qui nagent dans l'univers du musical comme des poissons dans l'eau.

Si la pièce ne s'adresse pas aux enfants (le langage est cru, sexuel et scatologique), ses obscénités sont dites de façon ludique, voire bon enfant. On comprend que, depuis quatre ans, The Book of Mormon ait peu outré la communauté mormone. Au contraire.

Certes, le décor n'est pas génial, la salle Wilfrid-Pelletier n'est pas le lieu idéal pour du théâtre musical, il faut comprendre assez couramment l'anglais pour bien apprécier. Mais des spectacles de ce calibre ne courent pas les rues.

Le choc des cultures

The Book of Mormon raconte l'histoire d'Elder Price, un mormon qui rêve de se rendre à Orlando, en Floride, pour sa première mission, mais qui sera plutôt envoyé en Ouganda afin de convertir les païens. Son partenaire (les mormons prêchent toujours à deux), Elder Cunningham, petit, gros et maladroit, est le mouton noir de la communauté. Cunningham est plus à la recherche d'un ami que de la foi. Il est aussi l'élément différent, sensible et vulnérable qui permet au récit d'avancer et de nous toucher.

Cravatés, avec des chemises à manches courtes et des pantalons bien pressés, les jeunes mormons de la pièce ressemblent à des agents de bord efféminés qui refoulent leur penchant homosexuel derrière un sourire faux (comme il est question dans Turn It Off, une chanson qui se termine avec un numéro de tap dance très, très gay).

Ils découvriront une Afrique sauvage, plus cruelle que dans The Lion King, avec des Africains plus préoccupés par la survie que par le message et la foi des mormons. Ravagés par le sida, la famine et la guerre, ils sont fatalistes, désabusés et se moquent de Dieu en chantant Hasa Diga Eebowai (Fuck you, God)! En même temps, le public se régale, car, c'est connu, le show-business aime brûler en enfer (sidérant Spooky Mormon Hell Dream, l'un des numéros les plus fous qu'on ait vus au théâtre.)

Après un début sur les chapeaux de roue, avec le numéro du porte-à-porte (Hello), la fin du premier acte s'étire un peu. Mais la deuxième partie repart en grand avec I Believe, la chanson qui nous reste en tête après le spectacle.

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Jusqu'au 7 décembre, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts