Michel Tremblay s'est souvent dit étonné de l'intérêt actuel du milieu théâtral pour cette pièce qu'il a écrite à l'âge de 23 ans. «Moi je ne m'y intéresse plus depuis longtemps!» a-t-il dit à La Presse la semaine dernière. Pourtant, oui, même si plus personne ne colle des timbres-primes, l'intérêt y est toujours et le public du Segal lui a réservé un accueil triomphal jeudi soir.

Il faut bien le dire, le dramaturge québécois est connu et apprécié de la communauté anglo-montréalaise. Plusieurs de ses pièces ont été jouées au Centaur Theatre, dont une production écossaise des Belles-soeurs, The Guid Sisters. Au Centre Segal, Les belles-soeurs a même été présentée en yiddish à guichets fermés!

Il reste que pour celui qui assiste pour la première fois à une pièce de Tremblay dans la langue de Shakespeare (ce qui était mon cas), l'expérience est très intéressante. Au fond, même sans le joual caractéristique de l'auteur, on entend très bien le cri du coeur de cette génération de femmes en quête de liberté, qui rêve de sortir de sa misère.

Ceux qui ont vu la pièce musicale en français seront en terrain connu puisqu'il s'agit, à peu de choses près, de la même mise en scène de René Richard Cyr et de la même partition musicale accrocheuse composée par Daniel Bélanger, même si de nouvelles chansons ont été ajoutées. Certains y trouveront même des ressemblances avec les acteurs francophones!

«It's a God damn dull life

La vérité est que Belles Soeurs: The Musical a été fait sur mesure pour ce public anglo-montréalais, familier avec l'univers populaire de l'auteur. Des anglophones qui comprennent très bien le «québécois». Je ne suis pas sûr que tous ces clins d'oeil «in French» soient aussi appréciés à Toronto ou à Vancouver...

La pièce commence par ces trois petits mots: «Maudite vie plate», qui se transformera en: «It's a God damn dull life!» Et les interprètes (presque tous anglophones) n'hésitent pas à lancer, de temps en temps, des «Ben voyons donc!», «Sacrifice!» «Mon Dieu!» ou «Maman!» avec leur meilleur accent québécois.

Était-ce pour faire une fleur à l'auteur? Pour nous rappeler que nous sommes bien sur le Plateau Mont-Royal? Sans être choquant, on aurait pu s'en passer, comme c'est probablement le cas dans la version coréenne! Il y aura sans doute une réflexion à avoir sur la facture d'une production tout anglophone jouée ailleurs au Canada ou aux États-Unis.

Belle distribution

Cela dit, la distribution est menée rondement par Astrid Van Wieren, dominante dans le rôle de Germaine Lauzon, qui demande à ses amies de l'aider à coller dans des livrets le million de timbres-primes qu'elle a gagnés. La comédienne juste assez «baveuse», donne le ton avec la pièce d'ouverture où elle chante avec coeur son emblématique I want it all!

Elle est entourée d'excellentes comédiennes et chanteuses habituées des «musicals» comme Valerie Boyle, hilarante dans Claudette's wedding day; Lisa Horner, magistrale dans le rôle de la «wanta be snob» Lisette de Courval, et Lili Connor, extrêmement touchante dans My Traveling Salesman, qui lui a valu une salve d'applaudissements.

Les meilleurs numéros sont tout de même concentrés dans la première partie de la pièce, tant dans les performances individuelles remarquables que dans celles, magnifiques, entonnées par le choeur disposé sur deux étages. Malgré la savoureuse Ode au bingo, la deuxième partie manque un peu de rythme et de mordant.

Les comédiennes francophones de la distribution s'en sortent plutôt bien, on pense à Geneviève St-Louis dans le rôle de la jalouse Marie-Ange Brouillette, qui sera la première à voler sa voisine. Par contre, Geneviève Leclerc et Élise Cormier, même si leurs tours de chant sont tout à fait réussis, sont trahies par leur accent... Rien de grave, mais on le remarque.

Les plus avertis constateront que la scène finale est légèrement différente de la production francophone avec ce mépris de Sainte-Thérèse, d'abord chantée par le personnage de Germaine Lauzon, puis par l'ensemble du choeur. Une finale plus festive avec des airs de «happy end» qui éclipse un peu le drame du personnage principal.

Peu importe, on peut dire que ce Musical est tout aussi charmant en anglais qu'en français et qu'il a tous les ingrédients qu'il faut pour être joué sur les scènes anglophones avec le même succès que la version francophone à Paris. Une pièce extrêmement divertissante, qui parvient aussi à montrer le carcan dans lequel se trouvent ces femmes de la Révolution tranquille.

À ces «sisters-in-law», moi je dis «two thumbs up

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Au Centre Segal jusqu'au 16 novembre.