Un gardien du zoo d'Akron, en Ohio, Clyde Redding, ouvre toutes les cages afin de laisser les animaux errer en liberté. Même s'il est réfléchi, nous expliquera-t-il, son geste sème la consternation et la panique dans la population. La police et l'armée interviennent en abattant les animaux.

Ce prétexte sert de point de départ à la pièce bilingue, écrite par Emmanuel Schwartz et mise en scène par Alexia Bürger, qui a aussi collaboré à l'écriture. Il sert surtout aussi à révéler, à travers divers personnages, le portrait d'une Amérique paumée, déprimée, amère.

Encadré par une mise en scène ingénieuse, empruntant aux techniques cinématographiques de montage parallèle et de fondu enchaîné, Emmanuel Schwartz, tel un parfait caméléon, interprète plusieurs personnages, qui vont du militaire sensible au caissier de banque illuminé en passant par le vieillard solitaire et l'enseignante fantasque.

Son Clyde Redding sert de fil conducteur au récit et au message. Il est l'ouvreur de cages, l'allumeur de rêve et d'imaginaire. Clyde cherche à prouver que chacun peut retrouver en soi ce qui le rend unique. Cet émancipateur symbolique veut se défaire d'une Amérique mièvre, formatée, complexée, superficielle, violente et tellement prévisible.

Son propre livre des révélations est celui d'un retour à l'animalité dans ce qu'elle a de plus noble, de plus simple, de plus vivant. Mis en contact avec les animaux en liberté, les humains retrouveront, ne serait-ce qu'un instant, l'impression de vivre «mieux et fier» ainsi que de «danser sur la fin de monde».

L'animal sacrifié

L'Alfred du titre est l'un des animaux remis en liberté, le léopard vedette du zoo d'Akron. Véritable métaphore animale, il devra être en quelque sorte «sacrifié» pour que cette Amérique retourne dans son sommeil profond.

Outre la performance exceptionnelle de Schwartz, magnifique comédien à la fois cérébral et très physique - quasi à la Grotowski -, le texte est tout à la fois intelligent, poétique, luxuriant, parfois trop.

De fait, il gagnerait à être resserré, raccourci. Une première montée dramatique est bien tracée, mais culmine aux deux tiers de la pièce, nous laissant quelque peu en déséquilibre pour le reste du spectacle.

Accompagné d'une scénographie et d'une bande sonore efficaces, Emmanuel Schwartz vaut, toutefois, amplement le détour.

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Au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 4 mai.