Sherlock Holmes, le célèbre détective privé et consultant pour Scotland Yard, revit à Montréal. Mais si son créateur, sir Arthur Conan Doyle, débarquait au théâtre du Centre Segal, il ne reconnaîtrait pas son fumeur de pipe et élucideur d'énigmes préféré. La langue et l'accent british des acteurs lui seraient peut-être familiers, mais pas leur univers déjanté.

La pièce, tout simplement intitulée Sherlock Holmes, se passe au XIXe à la fin des guerres de l'opium, au moment où une loi interdisant les fumeries à Londres est sur le point d'être votée. Un lord qui défend le projet de loi doit abdiquer, précipitant sa femme chez Sherlock Holmes.

La pièce est signée Greg Kramer, un ex-punk britannique installé à Montréal depuis plus de 20 ans, mort des suites d'une longue maladie au premier jour des répétitions. Dans un tel contexte, difficile de savoir quelles étaient les intentions de Kramer avec ce texte à mi-chemin entre la comédie d'action et la fable grinçante sur fond d'hypocrisie victorienne.

Chose certaine, sir Arthur ne reconnaîtrait pas le XIXe siècle quasi postmoderne où se déroule l'intrigue, serait émerveillé par les projections qui tiennent lieu de décor et se demanderait sans doute qui est ce grand gringalet qui se prend pour Sherlock Holmes en jouant d'ironie et en parlant à la vitesse de l'éclair. Le gringalet, c'est Jay Baruchel, vedette de cinéma et enfant chéri des Anglo-Montréalais à qui il offre sa toute première performance au théâtre.

Le résultat n'est pas décevant. Baruchel a de la présence, de la personnalité et campe avec une énergie généreuse un Sherlock plein d'ironie et d'autodérision. Mais il parle trop vite, bouffe ses mots, ne projette pas à la manière classique des acteurs de théâtre. Le résultat est un style de jeu parfois rafraîchissant, parfois inintelligible.

Pour le reste, Sherlock Holmes est une grosse production amusante, enlevante, drôle, avec une imposante distribution de 12 acteurs, certains plus impressionnants que d'autres, notamment Kyle Gatehouse dans le rôle du méchant et Karl Graboshas dans celui de Watson.

La mise en scène d'Andrew Shaver est un feu roulant halluciné et minimaliste. Grâce à la magie des projections, le metteur en scène réussit à créer un riche éventail de lieux et d'ambiances évoquant tantôt les eaux glauques d'un port par une nuit pluvieuse, tantôt une fumerie d'opium, un quai de gare ou la cabine d'un train.

Dans une scène particulièrement échevelée, tous les acteurs se lancent dans une hallucination chorégraphique à la Baz Luhrmann pendant que Sherlock, en proie aux vapeurs du chloroforme et de la cocaïne, se tord à leurs pieds. Délirant!

Bref, même si on ne saisit pas toujours l'intention cachée de la pièce, on ne s'ennuie pas une minute.

Sherlock Holmes est à l'affiche du Segal jusqu'à la fin du mois. Et si Jay Baruchel peut réussir à ralentir son débit et à respirer entre les répliques, le spectacle n'en sera que meilleur.