Manipulation, préjugés, mensonge et trahison ne sont pas des idées qu'on associe d'emblée à l'univers bon enfant du Magicien d'Oz. Il s'agit néanmoins de thèmes centraux dans Wicked, comédie musicale à grand déploiement, qui tiendra l'affiche durant tout le mois d'août à la Place des Arts. Si on ne peut reprocher à la production de faire de la fausse représentation - elle est aussi spectaculaire qu'elle le prétend -, elle possède aussi les pires défauts de Glinda et du magicien d'Oz lui-même: l'orgueil et une tendance à faire de l'esbroufe.

Wicked se déroule dans le même monde que Le Magicien d'Oz. Or, les deux univers se recoupent peu. Elphaba (Christine Dwyer), dite «la méchante sorcière de l'Ouest», vient de mourir. Hors de question de la pleurer, clame le choeur dans la scène d'ouverture. La vilaine fille à la peau verte était l'ennemi public numéro un au pays d'Oz et ne devait surtout pas mettre le pied dans la cité d'Émeraude, dominée par le magicien d'Oz (Paul Kreppel) et Madame Morrible (Marilyn Caskey).

La disparition d'Elphaba ne tue toutefois pas d'emblée les rumeurs à son sujet. Pressée de questions par une foule insistante, Glinda (Jeanne De Waal), dite «la bonne sorcière du Nord (facile à deviner, elle est blonde), finira toutefois par raconter l'histoire véritable de son amitié avec la disparue. Une complicité improbable faite d'un mélange de rivalité (amoureuse, notamment) et d'une sincérité peu crédible, mais nécessaire à la montée dramatique menant à l'inévitable happy ending.  

Wicked tient à la fois de la fable (morale à l'appui) et du «film de filles». La dynamique entre Elphaba et Glinda est en effet identique à celle de tous les films d'ados opposant une tronche à la meneuse de l'équipe de cheerleading. Pour compléter le nécessaire triangle amoureux, ne manque plus qu'un beau gosse insouciant et superficiel, stéréotype incarné ici par Fiyero (Billy Harrigan Tighe), qui cache bien sûr une âme sincère capable de voir au-delà du teint vert d'Elphaba.

Il faut donner aux gens ce qu'ils veulent», affirme le magicien d'Oz, lors de sa première rencontre avec Elphaba. Ainsi, s'il se cache derrière une mécanique intimidante, c'est parce que les gens s'attendent à ce genre de choses de la part d'un puissant magicien. On pourrait appliquer un raisonnement semblable à l'imposante production qu'est Wicked: quand on paie entre 58$ et 158$ pour un spectacle, on en veut pour son argent. Ses producteurs connaissent de toute évidence la recette.

Imaginez un dessin animé classique de Disney transposé sur scène et vous aurez une bonne idée de ce dont il s'agit. Glinda a l'air d'une poupée Barbie et Fiyero d'un petit soldat de bois (ou d'un Ken en costume d'époque, c'est selon). Décors, costumes, accessoires, effets spéciaux, tout en met plein la vue. Tout est là pour réjouir l'oeil... sans laisser de place à l'évocation ni à l'imagination.

La sonorisation était d'une justesse stupéfiante, jeudi soir, ce qui permettait de bien saisir les dialogues et mettait en valeur les interprètes, qui furent globalement impeccables, hormis un solo moins convaincant de Nessarose (Catherine Charlebois). Encore faut-il être amateur de cette pop vocale empathique où la puissance cherche à passer pour de l'émotion. La musique est d'ailleurs le point faible de Wicked. Les mélodies et les orchestrations sont si convenues et sans personnalité que tous les grands airs se ressemblent. C'est un peu comme écouter le thème final d'un film de la Fée Clochette pendant plus de deux heures.

Bref, si vous aimez être subjugué et n'avez rien contre la surenchère, la grosse machine verte qu'est Wicked est taillée sur mesure pour votre sensibilité. Si vous détestez ce qui est trop dit, trop montré et trop appuyé, fuyez ce spectacle-là.

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Jusqu'au 26 août à la salle Wilfrid-Pelletier. En anglais, avec surtitres français pour les dialogues seulement.