Après deux mois de «préspectacles» et une campagne d'affichage importante à Hollywood, le Cirque du Soleil a officiellement lancé en orbite, hier soir au Kodak Theatre, son 11e spectacle permanent baptisé Iris.

Alors? Alors les 72 artistes, y compris un orchestre réparti dans six loges suspendues de part et d'autre de la scène, nous ont carrément soufflé. Pas de doute, les quelque 2000 spectateurs présents, y compris des vedettes hollywoodiennes et de nombreux Québécois (dont la ministre de la Culture, Christine St-Pierre), ont été conquis.

L'imposante équipe de création, menée par le metteur en scène français Philippe Decouflé, a réussi à mettre en valeur le travail des acrobates sans tenter de le masquer ou de le faire paraître trop facile; à créer des costumes superbes, sans qu'on perde de vue l'humain qui les revêt; à créer une musique géniale qui magnifie le spectacle (celle du compositeur de films Danny Elfman), sans la présence parfois encombrante de chanteurs; à créer des moments d'intimité avec les artistes, mais en offrant également de grandes fresques acrobatiques.

Il y a, avant tout, une très grande cohésion dans la dizaine de numéros, tous construits sur le thème du cinéma. De la naissance des premières images en mouvement aux imposants studios d'enregistrement et à leurs décors en carton, jamais on ne se perd ou ne s'éloigne du concept. La présence de quatre clowns (sans nez), qui s'adressent régulièrement au public et font une savoureuse parodie d'une remise de statuettes, est un atout évident. C'est beaucoup grâce à eux si on ressent cette proximité avec les artistes de la scène.

Dès les premières minutes, après une intro qui s'ouvre sur un cabaret dansant, le numéro de sangles aériennes, exécuté par les frères anglais Andrew et Kevin Atherton, nous fait ressentir le danger encouru par les acrobates. Qui se permettent même de passer au-dessus de nos têtes (grâce à un accord conclut avec la ville de Los Angeles qui interdit cette pratique).

Parmi les meilleurs moments, mentionnons les deux duos de main à main. Avec la projection, à l'arrière-scène, de leurs mouvements que l'on déconstruit: arrêts d'images, qui sont aussi ralenties, accélérées ou multipliées. C'est une des grandes forces de Decouflé, et du spectacle, ce travail extrêmement précis entre ce que l'on voit en réalité et sa représentation à l'écran, avec jeux d'ombres, trucages visuels et incursion dans les coulisses. Le Cirque n'a jamais été aussi loin dans cette voie.

Autre moment fort: le numéro des jeux icariens réalisé par neuf acrobates chinois, avec des porteurs couchés sur le dos qui font tournoyer des voltigeurs avec leurs pieds. Le résultat est époustoufflant. Leur numéro est précédé d'un montage vidéo où on les voit exécuter des routines improbables, à la manière d'un dessin animé. Leur numéro, en réalité, nous donne l'impression d'être constamment dans ce montage.

De nombreux autres numéros font leur effet: contorsion, trapèze, bal aérien, trampoline - dans une scène de combat un peu longuette, mais tout à fait réussie -, et un très beau clin d'oeil au septième art, où les acrobates jouent à l'intérieur de sept photogrammes représentant une pellicule, créant une foule d'effets d'illusion. Toujours appuyés par des projections.

Seul bémol: l'histoire d'amour entre Buster et Scarlett, les deux personnages censés être le fil conducteur d'Iris, n'est pas toujours convaincante. Et mériterait qu'on la peaufine. Elle veut devenir une star hollywoodienne, lui a l'impression de la perdre. N'est-elle finalement que le fruit de son imagination? Leur interprétation, volontairement sirupeuse, gagnerait à être mieux arrimée à l'ensemble des tableaux. Ce qui n'enlève rien, heureusement, à la grande qualité de ce spectacle où se multiplient les détails subtils.

Le Cirque doit présenter Iris pendant 10 ans au Kodak Theatre, ne faisant relâche que durant la cérémonie annuelle des Oscars. Ils auront amplement le temps de démêler ces petits fils-là.