Notre monde n'est pas seulement en perte de repères, il ne sait plus sur quoi prendre appui. La société de consommation? Elle ne peut nous rendre heureux. Le couple? Il ne sait plus que s'étreindre mollement avant de se désintégrer - c'est l'ère du zapping relationnel. Le système capitaliste? Sa version axée sur les indices boursiers s'est effondrée en 2008, entraînant dans son naufrage les rêves et les illusions de millions de gens. L'argent, à vrai dire, préfèrerait vivre sans nous...

Trust, production de la réputée Schaubühne présentée jeudi en ouverture du Festival TransAmériques, peint un portrait sombre de notre époque. Falk Richter (auteur et metteur en scène) et Anouk Van Dijk (chorégraphies) montrent toutefois un monde qu'on ne peut pas ne pas reconnaître et qu'on observe, pétrifié, ne sachant pas toujours s'il vaut mieux en rire qu'en pleurer. L'évocation est juste, traversée de moments d'une grande puissance, mais souffre néanmoins d'une trame narrative qui, malgré son ironie, finit par tourner sur elle-même et traîner en longueur.

La danse et la parole se partagent la tâche à parts égales dans ce spectacle qu'on ose qualifier de «cabaret brechtien contemporain» et dont la seule mise en scène constitue un tour de force. Trust s'ouvre d'ailleurs sur une longue séquence dansée: des corps en déséquilibre, des couples incapables de s'enlacer ou de s'offrir du soutient qui finissent par s'écrouler sur le sol avant de se relever et de retenter le coup. Avec le même partenaire ou avec un autre. Anouk Van Dijk (qui est de la distribution) installe d'entrée de jeu l'idée que nous sommes collectivement au bout du rouleau.

Puisqu'il dépeint une société où les liens entre les gens se désagrègent, Falk Richter opte logiquement pour un texte direct laissant peu de place aux dialogues. Il ne développe pas de trame narrative destinée à raconter une histoire, mais juxtapose discours emportés, monologues, chanson et confessions de manière à constituer une suite de tableaux aussi morcelés que nos vies. Son discours sur «l'effondrement des systèmes» est volontiers bavard et constitue une démonstration par l'absurde d'un capitalisme qui n'est plus au service de l'être humain, mais le domine et le regarde de la hauteur stratosphérique des parachutes dorés.

Falk Richter a mis beaucoup d'ironie dans Trust. Che Guevara n'y est plus un symbole révolutionnaire, mais un logo comme un autre imprimé sur un t-shirt vendu chez Prada. Avec plus de férocité encore, l'auteur illustre notre incapacité à nous indigner dans une scène saugrenue où les personnages tentent d'apprendre à... aboyer. Mais le texte - le plus souvent en allemand et qu'on suit à l'aide de surtitre - mise aussi sur des répétitions qui deviennent lassantes et diminuent la portée du spectacle. Cherchant d'abord à dépeindre un monde, le texte reste aussi en surface des êtres.

Trust s'impose davantage par son énergie schizophrène déployée dans une scénographie imposante, mais discrète, habilement exploitée. Son rythme est celui de notre quotidien: courses folles suivies de moments d'épuisement. Ainsi, c'est d'abord aux corps des danseurs qu'on s'attache et par lesquels on transcende l'abstraction du discours pour renouer avec l'humain. Avec des êtres secoués, écartelés parfois, qui, au fond, cherchent simplement à retrouver un rythme auquel ils pourront se mouvoir à l'unisson.

La deuxième et dernière représentation de Trust a lieu vendredi soir, au Théâtre Jean-Duceppe.