Trois ans à peine ont passé depuis l'historique discours de Philadelphie. Un brillant tour de force politique et rhétorique, comparé au I Have a Dream de Martin Luther King.

Depuis son accession à la présidence américaine en novembre 2008, Barack Obama a un peu perdu de son panache et de son aura de sauveur de l'humanité. Revisiter De la race en Amérique est un flash-back dans un passé récent aux accents un peu nostalgiques, un rappel d'une brève mais puissante période où l'Amérique a eu besoin de trouver espoir et réconfort dans les paroles d'un leader charismatique qui arrivait à point nommé.

José Pliya - découvert par le public montréalais par son texte Le complexe de Thénardier, monté par Denis Marleau en 2009 - offre ici un exercice didactique intéressant et intellectuellement stimulant. Il met en scène De la race en Amérique de manière à défaire ce discours de tout artifice et parasite contextuel.

Devant le public d'Espace libre, en complet gris, le comédien martiniquais Éric Delor se glisse dans la peau du président américain, en prononçant De la race en Amérique sur un ton certes théâtral, mais sans émotivité. Pendant une quarantaine de minutes, nous nous rappelons les paroles qui, le 18 mars 2008, ont marqué à jamais la mémoire collective.

En guise de préambule à la performance oratoire de Delor, la voix (enregistrée) de Laure Adler offre une mise en contexte. Obama a consacré deux longues nuits de labeur pour composer De la race en Amérique, dont la fonction première était de désamorcer une crise survenue quelques jours plus tôt. Le révérend Wright - représentant de la Trinity Church qui, depuis les années 80, était l'ami et le conseiller spirituel d'Obama - avait confié à ABC News des propos à caractère haineux envers les Blancs d'Amérique.

Avec De la race en Amérique, le candidat démocrate a réalisé un tour de force politique, ralliant ses potentiels électeurs en misant sur la force et le génie de la diversité culturelle en Amérique, prenant son histoire personnelle en guise d'exemple. Dans ce discours sous le signe de la réconciliation et de l'union dans la différence, Obama évoque la perfectibilité de l'Amérique et cite tantôt William Faulkner, tantôt le plus humble de ses électeurs.

Messages

Que reste-t-il du message d'espoir et d'unité du discours de Philadelphie? La question du «vivre ensemble», centrale à ce jalon déterminant dans la campagne démocrate, est-elle universelle et applicable au contexte béninois, québécois ou d'ailleurs? Peut-on extraire ces dimensions éminemment politique et contextuelle? À la fin de sa performance, Éric Delor invite les membres du public à exprimer «librement» leurs impressions et réflexions. Mercredi soir, le journaliste Richard Hétu était présent sur scène, pour apporter son éclairage de spécialiste de la scène politique américaine (la veille, Dany Laferrière y était).

Celui qui a fait vibrer et rêver l'Amérique (et le monde entier) a certes essuyé quelques revers et pris quelques claques, après le bailout des grandes banques, l'implantation difficile et controversée de son système de santé promis, certaines de ses positions en faveur des lobbys pro-israéliens... Sans parler de ses détracteurs qui exigent de voir son acte de naissance, pour prouver l'authenticité de sa nationalité américaine.

Réentendre De la race en Amérique, c'est donc un rappel que l'actuel président des États-Unis, en dépit du choc du réel, est un habile écrivain habité non seulement d'un sens politique impeccable, mais aussi d'un sens de l'engagement social et d'une grande profondeur morale et philosophique. En invitant Obama dans ses murs, Espace libre met en scène le politique, lequel, après tout, est peut-être la forme théâtrale la plus universelle.

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De la race en Amérique, le discours de Philadelphie de Barack Obama, mise en scène de José Pliya, avec Éric Delor, une production La Caravelle DPI, à Espace libre jusqu'à demain.