Toute chose est-elle bonne à dire? Le silence doit-il être brisé à tout prix? La vérité de l'un a-t-elle une résonance chez l'autre? Ingmar Bergman explorait toutes ces questions dans Sonate d'automne, film mythique mettant en vedette Ingrid Bergman et Liv Ullman. Marcel Pomerlo transporte cette terrible confrontation sur la scène du Théâtre Prospero avec Andrée Lachapelle et Marie-France Marcotte dans les rôles de la mère égocentrique et de la fille mal-aimée.

L'argument relève presque de l'anecdote: Eva, qui n'a pas vu sa mère depuis sept ans, se fait une joie à l'idée de l'accueillir dans le presbytère qu'elle partage plus amicalement que maritalement avec son époux Viktor (Gabriel Arcand) et sa soeur Helena (Chantal Dumoulin), qui souffre d'un grave handicap physique. Ces retrouvailles tourneront vite au duel.

Marcel Pomerlo indique d'entrée de jeu son parti pris pour le texte. Il a placé ses acteurs dans un décor assez minimaliste et plutôt réaliste. L'espace est pour l'essentiel décloisonné, mais découpé en zones clairement identifiables grâce au mobilier: bureau, salon, salle à manger et chambre à coucher. Aucun meuble, aucun accessoire n'attirent l'attention, comme si la scénographie avait été conçue pour se faire oublier.

Ne pas distraire les spectateurs du texte semble également l'idée qui a motivé la direction d'acteurs. Le jeu des quatre comédiens est épuré. Ils ne posent aucun geste inutile et leurs corps ne vibrent d'aucune pulsion sensuelle. Le regard est donc irrémédiablement attiré par les visages. Comme au cinéma, est-on tenté de préciser.

Rigide jusque dans l'élaboration des déplacements, la mise en scène révèle fort bien la mécanique du texte, mais confine les personnages à une certaine froideur. Le ton est d'ailleurs souvent affecté (surtout chez Marie-France Marcotte). Comme si Marcel Pomerlo se voulait plus bergmanien que Bergman lui-même. Ce n'est pas l'émotion qui se dégage du face à face entre Charlotte et Eva, qui survient dans la deuxième moitié de la pièce, qui finit par happer, mais la cruauté des paroles échangées.

Ce qui s'annonce comme le procès de la mère, campée avec élégance et nuance par Andrée Lachapelle, se transforme peu à peu en une subtile exploration du non-dit. Serions-nous involontairement trop exigeants envers nos proches? Pire, les jugeons-nous durement sans vraiment les comprendre? Que faire si notre vérité se heurte à la vérité tout aussi sincère de l'autre? Malgré les défauts de cette trop austère Sonate d'automne de Marcel Pomerlo, on ne peut qu'être remué par les terribles ravages d'un silence qui a couvé trop longtemps.

Sonate d'automne, jusqu'au 8 mai au Théâtre Prospero.