La petite révolution du prince Mohammed ben Salmane continue de bouleverser le monde des arts dans le royaume wahhabite. Le Cirque Éloize se trouve en ce moment même à Riyad où il présentera Cirkopolis du 18 au 20 janvier devant un public mixte.

L'aventure d'Éloize en Arabie saoudite a débuté la semaine dernière dans la ville de Dammam, où la pièce acrobatique Cirkopolis a été présentée trois soirs - du 11 au 13 janvier - dans un chapiteau de 2500 places plein à craquer, dominé par un public familial.

Même si la distribution masculine a été augmentée, son caractère mixte a été conservé (11 hommes, 4 femmes). Le plus étonnant est que le spectacle a été présenté devant un public mixte, les hommes «seuls» ayant tout de même été séparés des «familles», a précisé le directeur artistique et général d'Éloize, Jeannot Painchaud.

«La réaction du public à Dammam a été superbe», nous a dit Selene Ballesteros-Mingüer, qui fait partie de la distribution de Cirkopolis depuis l'été 2015 et qui fait (entre autres) un numéro de corde lisse. 

«C'est un des publics les plus bruyants que j'ai vus. Ils applaudissaient, ils sifflaient; habituellement, quand les spectateurs réagissent autant, c'est qu'ils ont bu, mais évidemment, ici, ce n'est pas le cas.»

Jeannot Painchaud, qui n'est pas sur place - il part samedi avec la délégation canadienne accompagnant le premier ministre Justin Trudeau en Chine -, a été contacté au mois d'octobre dernier par le producteur libanais Walid Jabbour. Il faut dire qu'Éloize a présenté par le passé deux de ses spectacles à Dubaï, aux Émirats arabes unis (en 2013 et en 2015), mais aussi au Qatar et à Bahreïn.

Des costumes et des numéros adaptés

Deux demandes ont été formulées à Éloize: les femmes devaient être vêtues de pantalons amples (jusqu'aux chevilles) et de hauts à manches longues (jusqu'aux poignets). Le cou devait aussi être couvert. Et les hommes ne pouvaient avoir de contacts avec elles.

Exit, donc, le numéro de la contorsionniste qui marche sur une rangée de cinq hommes - exécuté en temps normal par Selene Ballesteros-Mingüer. Il a été remplacé par un numéro d'équilibre, explique Jeannot Painchaud. Pour le reste, Éloize n'a pas eu à faire de grands changements. Le seul numéro de main à main mettait en scène deux hommes (ce qui est acceptable). Eux aussi devaient être complètement vêtus (pantalons longs et manches longues).

«Il a quand même fallu ajuster quelques numéros pour éviter les contacts entre les hommes et les femmes.»

«Il y a un numéro comique où un des acteurs tente de reproduire les gestes d'une contorsionniste; deux filles l'aident dans le numéro d'origine, note Selene Ballesteros-Mingüer, qui se trouve maintenant à Riyad. Mais on ne pouvait pas le faire, donc on a mis en scène trois hommes qui tentent de faire comme trois contorsionnistes, à distance. Le public était mort de rire durant ce numéro!»

Une effervescence «historique»

«Je trouve ça fantastique de vivre ce moment-là, de participer, à notre mesure, à l'évolution des moeurs, dit Jeannot Painchaud. Cette effervescence-là est historique.» L'invitation d'Éloize découle directement de la politique d'ouverture du prince ben Salmane, selon lui. «On nous a bien expliqué que les choses changeaient, on nous a beaucoup rassurés. Il y avait, bien sûr, une surveillance policière, mais il n'y a eu aucun incident.»

Éloize, qui fête cette année ses 25 ans d'existence, espère maintenant présenter ses deux autres spectacles de tournée (iD, Saloon) en Arabie saoudite.

Comment faire pour retirer tous les contacts hommes-femmes dans un spectacle comme Saloon, où les duos et les chorégraphies de groupe ne se comptent plus? Jeannot Painchaud n'est pas inquiet. 

«On vient de repousser certaines règles; peut-être que d'ici à l'an prochain, les exigences seront moins grandes. Sinon, on s'adaptera. Ce sont de belles occasions de participer à cette ouverture. Si on me dit d'aller en Corée du Nord, j'irai!»

Selene Ballesteros-Mingüer est, elle aussi, consciente du caractère exceptionnel de la présence d'Éloize en Arabie saoudite, même si elle avoue avoir dû s'habituer à travailler dans des costumes plus amples et encombrants. «Quand j'ai terminé mon numéro de corde lisse et que j'ai entendu des cris de joie des femmes qui étaient dans la salle, ça m'a quand même beaucoup émue. Ç'a été pour moi un moment fort.»

À la suite de cette série présentée dans le royaume saoudien, Cirkopolis - qui a été créé en 2012 - poursuivra sa tournée internationale en Europe de l'Est.