La contorsionniste québécoise Andréane Leclerc entre parfaitement dans la case des artistes «inclassables et atypiques» que cherche à promouvoir le festival interdisciplinaire Phénomena. Au cours du festival, qui démarre aujourd'hui, elle présentera un programme double qui résulte de ses recherches sur la prouesse. La Presse l'a rencontrée.

N'essayez pas de mettre Andréane Leclerc dans une case. La contorsionniste gatinoise aura tôt fait de s'extirper de la petite boîte que vous lui tendrez et d'enrouler ses vrilles sur la boîte d'à côté...

L'artiste de cirque, qui vient de terminer une maîtrise sur la dramaturgie de la prouesse, s'est notamment inspirée des portraits déformés de Francis Bacon pour créer sa pièce Cherepaka, qui signifie «tortue» en russe. Une ode à l'instinct animal, où l'artiste de cirque s'est efforcée de «déconstruire le côté spectaculaire de la contorsion».

«Je voulais sortir d'une écriture narrative et faire un travail centré sur la sensation, sur le "devenir-animal"», nous dit Andréane Leclerc. 

Présentée une vingtaine de fois depuis sa création, son incarnation abstraite d'une tortue qui meurt après qu'on a voulu posséder sa carapace étonne et dérange même parfois. «En France, je crois que les femmes ont trouvé dur de me voir comme un animal, parce que je ne fais pas un numéro de contorsion qui répond aux normes de la beauté. 

«Avec le temps, on est en train de tuer notre instinct animal, estime-t-elle. Mais en même temps, on essaie par tous les moyens du monde de posséder et de contrôler tout ce qu'on a, jusqu'aux naissances et aux morts. Pourquoi? Pour vivre plus longtemps?»

«Je pense que les corps ont un savoir, une mémoire. Ils détiennent tous les éléments nécessaires pour vivre et survivre.»

La contorsionniste fait référence au Funambule de Jean Genet. «Il explique bien cette déconnexion entre l'âme et le corps, dit-elle. À la minute où l'acrobate tente de danser pour le public, à la minute où il se met à penser, il tombe. C'est ce que j'essaie de mettre en lumière dans Cherepaka. L'idée de se faire confiance et de donner au corps tout ce qu'il est et tout ce qu'il a.»

Bath House

Une petite forme d'environ 10 minutes, Bath House, précédera la pièce Cherepaka. Andréane Leclerc dirigera cette fois trois autres contorsionnistes: Laurence Racine, Geneviève Gauthier et Maude Parent. 

«C'est une pièce sur l'envahissement du territoire et l'emprisonnement, explique-t-elle. Une pièce dans laquelle il y a une contrainte qui vient de l'extérieur, qui se heurte à un mouvement qui cherche à sortir. La pièce a été créée au Bain Saint-Michel. J'avais envie de représenter l'eau emprisonnée dans une piscine. Pour moi, encore une fois, il s'agit d'une puissance naturelle qui a été contrôlée et enfermée.»

Les spectateurs formeront un corridor entre les gradins et la scène, où les trois contorsionnistes évolueront. «Le public crée un mur, emprisonnant les interprètes. L'envahissement est celui du corps des contorsionnistes par le regard du spectateur. Il y en a une qui se cache, une autre qui cherche à survivre et une dernière pour reconstruire un corps détruit.»

Nouvelle création en 2015

Dans la foulée de ce travail chorégraphique, Andréane Leclerc travaille à une nouvelle pièce, La putain de Babylone, qui sera créée en septembre 2015. Huit filles seront réunies sur scène dans une relecture de cette histoire tirée du Livre de l'Apocalypse. La musique a été composée par le chanteur des Tiger Lillies, Martyn Jacques. 

«La putain de Babylone est une créature à sept têtes et à dix cornes, précise-t-elle. On s'inspire du mythe pour s'en défaire. Les filles viennent du milieu du cirque et de la scène burlesque. Il y aura une narration musicale, mais on va travailler le langage chorégraphique entre les filles. On travaille actuellement sur la création...»

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À l'Espace Go du 21 au 24 octobre, coprésenté avec Tangente. Le festival Phénomena a lieu du 17 au 24 octobre.