C'est le grand pari de la nouvelle Compagnia Finzi Pasca. Et il se présente déjà sous les meilleurs auspices.

La Verità, qui sera créée à la Place des Arts le 17 janvier prochain, est la première production 100% maison depuis la rupture avec le cirque Éloize, il y a quatre ans. Daniele Finzi Pasca a d'abord fondé Inlevitas avec Julie Hamelin, en 2009, et signé la mise en scène de trois opéras. Il a aussi créé Donka en janvier 2010, à Moscou, pour le 150e anniversaire de la naissance de Tchekhov. Les trois opéras, créés respectivement à Londres, Saint-Pétersbourg et Naples, sont entrés au répertoire des différents théâtres. Donka, qui poursuit une belle carrière internationale, en est à sa 200e représentation.

Depuis, une nouvelle compagnie a été fondée en 2011 avec de vieux complices, dont la compositrice Maria Bonzanigo et le scénographe Hugo Gargiulo. À cheval sur Lugano, ville natale de Daniele Finzi Pasca (DFP), et Montréal, celle de Julie Hamelin, qui est productrice et directrice de création. «DFP» est donc seul maître d'oeuvre d'une énorme machine dont le budget tourne autour de 2 millions de dollars. «La Verità devrait tourner cinq ou six ans», déclare sans sourciller la productrice, qui a déjà des dizaines de dates de tournée prévues sur deux continents pour 2013.

La Place des Arts a donné un sérieux coup de pouce à la compagnie en achetant 20 représentations d'un spectacle à l'état de projet, et en invitant la troupe en résidence au Théâtre Maisonneuve pour deux semaines d'ultimes répétitions. La semaine dernière, le directeur de la programmation de la PdA, Michel Gagnon, a d'ailleurs fait le déplacement à Lugano pour suivre la progression de l'oeuvre. Pour lui aussi, c'est un pari important.

«Nous nous sommes engagés sur la réputation de Daniele, dit-il, et sur les réussites magistrales de Nomade et de Nebbia. Mais pour amortir le coût de production avec cette salle de 1400 places, il faut vendre de 20 000 à 25 000 billets.»

À Lugano, on part donc à la découverte de l'oeuvre en gestation. Une immense salle au sol noir dans un bâtiment industriel de la périphérie. Les répétitions ont commencé il y a un mois et se poursuivront, avec quelques interruptions, jusqu'à la première. En novembre, la troupe au complet déménagera à Montréal pour la phase finale de la mise en place. Une troupe à géométrie variable dans laquelle on trouve depuis de nombreuses années les mêmes artistes.

Pour l'instant, le projet tient sur un storyboard où une trentaine d'autocollants indiquent l'ordre d'apparition des artistes et le thème de la scène. Et ce qu'on a sous les yeux est un spectacle plus intrigant qu'autre chose. Un homme et une femme, tous deux vêtus de robes style flamenco, font des essais de roue Cyr sur une belle musique de scène de Maria Bonzanigo. Sur une estrade, Daniele dirige deux artistes qui s'essaient à la manipulation d'une étrange marionnette à dimension humaine actionnée par des fils d'acier et qui semble engagée dans un corps à corps avec un contorsionniste quasiment immobile. Deux patineurs s'échauffent sur une minuscule scène circulaire. Sur un établi, on aperçoit une douzaine de masques de théâtre. Dans le spectacle, il y aura aussi trois monumentales têtes de cheval qui sont restées dans l'atelier de fabrication.

Sur une suggestion de Julie Hamelin, Finzi Pasca a décidé de concevoir un spectacle aérien, fortement axé sur l'acrobatie, «qui se déroule entre ciel et terre, entre jour et nuit». Le titre n'a pas été trouvé par hasard: «Le théâtre et les arts de la scène, dit Daniele, tournent en permanence autour de cette question: qu'est-ce que la vérité, qu'est-ce que le mensonge? Julie avait noté ceci: la vérité est tout ce qu'on a rêvé, vécu, inventé, tout ce qui fait partie de notre mémoire.»

Réalité et fiction

Qui pouvait mieux personnifier cette dichotomie entre réalité et fiction, mensonge et vérité, que l'extravagant surréaliste Salvador Dalí? On découvre que plusieurs des masques de théâtre représentent le maestro de Figueras avec différentes expressions.

Même si certains détails restent énigmatiques, on sait que Dalí s'est invité dans ce projet un jour de Noël 2010 à l'occasion d'un coup de fil à Montréal. Un «collectionneur privé» offrait de mettre à la disposition de Finzi Pasca une immense toile de neuf mètres sur quinze. Il s'agissait d'un rideau de scène en tulle peint par Dalí à New York en 1944 pour son ballet Tristan Fou, inspiré de Tristan et Yseult. En 1945, le rideau avait disparu. Voilà qu'il refait surface depuis les profondeurs d'une collection privée de Lugano.

«Ses propriétaires, dit-on mystérieusement chez CFP, souhaitent que cette oeuvre monumentale et inclassable retrouve sa vocation et soit associée à une production théâtrale. Le rideau sera l'une des vedettes du spectacle, apparaîtra et disparaîtra de la scène.»

Dalí

L'oeuvre inestimable de Dalí, qui se plie et tient dans une grande malle, sera accompagnée en permanence par deux conservateurs, d'abord à Montréal, puis tout au long de la tournée internationale.

À quatre mois de sa création, La Verità a déjà un carnet de commandes impressionnant que détaille Julie Hamelin. Après la vingtaine de représentations à Montréal, la production s'envole en février pour l'Amérique latine. Au moins une dizaine de représentations à Bogotá, autant à Panama et à Montevideo. Puis, entre Rio et São Paulo, on jouera le spectacle 78 fois au Brésil. À l'automne 2013, la tournée européenne commencera par Lausanne, puis on enchaînera aussitôt avec la France, Londres, Moscou, l'Italie. «À la fin de l'année 2013, dit Julie Hamelin, on aura donné environ 150 représentations.»

Et s'il reste des disponibilités au travers de cette tournée mondiale, on rejouera Donka, «qui a encore une espérance de vie de deux ou trois années». La petite entreprise de Finzi Pasca, apparemment, ne connaît pas la crise.