Il est arrivé à la course, de peur probablement d'être en retard. Il ne l'était pas. Dans son agitation, il a posé ses clés, ses documents, ses effets sur la grande table du TNM - sa deuxième maison comme il l'appelle - et il s'est assis. Il avait chaud. Il faisait chaud. Une gorgée d'eau et quelques mots échangés, histoire de lui donner le temps de reprendre son souffle.

J'ai dû interviewer Rémy Girard des dizaines de fois depuis Le déclin... Inutile, donc, de faire des ronds de jambe. Deux temps, trois mouvements, nous étions en selle. On était là pour parler de cette pièce, Le murmure du coquelicot, qui ouvrira la saison du TNM le 19 septembre et dans laquelle on le retrouvera, lui, Pascale Montpetit et la troupe de cirque Les 7 doigts de la main.

Q. Qu'est-ce que c'est que ce Murmure du coquelicot ?

R. C'est l'histoire d'un acteur qui n'a pas réussi à percer et qu'on convoque à une audition importante pour le rôle de sa vie. Or, ce n'est pas exactement ce qu'il imaginait.

Q. Et le cirque dans tout ça ?

R. Les artistes des 7 doigts sont un peu comme un choeur grec. Des fois, ils sont aussi ce qui se passe dans ma tête. Tout est mélangé : le jeu, l'acrobatie...

Q. La pièce était-elle écrite quand on t'a approché ?

R. Non, Sébastien Soldevila, cofondateur des 7 doigts et coauteur m'a appelé. Il avait envie qu'on travaille ensemble. J'ai embarqué parce que... parce que je suis willing.

(Il n'y a pas grand-chose qui arrête Rémy Girard. Il est de ceux qui se lancent dans le vide. Probablement qu'il a peur un peu et qu'il est nerveux aussi, mais même s'il a l'air d'un bon «papa a raison», air qu'il a toujours eu d'ailleurs, c'est un audacieux. Même s'il lui arrive à l'occasion de se péter la gueule comme, il y a quelques années, dans la mise en chanson des textes de Gauvreau.)

Q. Avec tout ton bagage, est-ce que tu passes encore des auditions comme ton personnage ?

R. Ça ne m'arrive plus très souvent, sauf en anglais.

Q. Qu'est-ce qui a été le vrai départ ?

R. Le déclin... Ç'a tout changé : le cinéma, la télé, le théâtre...

Q. C'est un métier dur ?

R. Euh ! Non, je ne peux pas dire que j'ai trouvé ça dur. Chaque fois que je rentre sur un plateau ou dans un studio de télé ou sur une scène, je me trouve tellement chanceux d'être là. Et je me dis, simonac, combien de gens aimeraient être à ma place.

Q. Mais qu'est-ce qu'il t'a apporté, ce métier ?

R. Le plaisir. Le plaisir de travailler avec des réalisateurs, des équipes techniques. Le cinéma, on est une grande famille. J'ai vu des troisièmes assistants caméra devenir des deuxièmes, puis des premiers et après, des réalisateurs. J'ai travaillé avec trois générations de cinéastes jusqu'à maintenant. C'est extraordinaire. Je me disais qu'en vieillissant, ça ralentirait. Je me dis souvent que si je devais recommencer, je ne changerais pas grand-chose.

(Il s'amuse. C'est peut-être ça, son secret ; peut-être ça le glaçage sur son talent. Le cinéma, la télé, le théâtre, des comédies débridées comme La vie parfaite qui commence bientôt. Et il ose, encore, toujours. Suffit de penser à papa Bougon.)

Q. Et il y a aussi la radio ?

R. Ça, c'est un accident de parcours, un bel accident. J'adore la radio. Tout ça a commencé par une spéciale sur l'histoire de la radio avec Michel Lacombe. Puis, on m'a demandé de faire quatre heures sur la musique de film le soir du Nouvel An. Ç'a marché. Très bien même. Et la journée du gala des Jutra, j'ai animé deux autres heures. C'était parti. On m'a alors proposé une émission hebdomadaire. Et voilà, on commence notre troisième saison de Tout un cinéma.

Q. Est-ce que depuis tes débuts, notre cinéma a changé ?

R. Beaucoup. On raconte de plus en plus de belles histoires. Et la technique a tellement évolué. Inévitablement, notre travail à nous les acteurs a aussi beaucoup changé.

Q. Et ces jeunes réalisateurs dont tu parlais tout à l'heure ?

R. Ils ont moins besoin de faire leurs classes. Dans le temps, et Arcand te le dira, tu étais un jeune réalisateur à 40 ans. Aujourd'hui, c'est à 19. Regarde Xavier Dolan.

(Rémy Girard travaille aussi en anglais, un des rares. Il vient de terminer, à regret d'ailleurs, trois saisons à CBC. Des compressions ont eu raison de InSecurity.)

Les médias ont d'ailleurs très mal réagi à cette coupe. Certains ont dénoncé violemment que les Canadiens anglais n'écoutent pas leur télévision et que ça a des conséquences. Enfin...

Q. Quand tu regardes dans le rétroviseur, as-tu des regrets ?

R. Le seul petit regret que j'ai, c'est cette soirée de remise des prix à Cannes pour Les invasions barbares. De ne pas avoir eu le prix, en fait. Tout le monde me disait : «Ça va être vous». Tu finis par y croire. Bof ! Ce n'est même pas un regret, c'est une déception, un coïtus interruptus.

(Et pour terminer sur une note plus personnelle, Renaud, son fils atteint de déficit-moteur-cérébral, vit toujours, comme il se l'était promis, avec lui et sa famille, dans leur maison des Cantons-de-l'Est. Il a 16 ans.)

C'est un enfant heureux. Il est beau comme un coeur. Il chante toujours. Il aime l'école. On m'avait dit qu'il serait un légume. Ce n'est pas un légume pantoute. Il communique. Il a de l'humour. Pour le futur, on y pense, l'école à Sherbrooke qui les garde jusqu'à 21 ans est déjà en train de planifier un centre de jour où ces jeunes adultes-là pourront être intégrés.

Q. Ça doit te rassurer ?

R. Oui. La seule chose, c'est quand je ne serai plus là...

Q. Ben voyons ! Faut pas penser à ça...

R. Tu demanderas à tous les parents d'enfants handicapés, c'est la seule chose qui nous angoisse.

> Notre journaliste Jean Siag a assisté aux répétitions du Murmure du coquelicot. Lisez son reportage demain dans la section des Arts.