Naguère extrêmement populaire et lucratif, tant pour les producteurs que pour les comédiens, qui ont souvent besoin de ce revenu indispensable, le théâtre d'été vit une grave crise depuis quelques années au Québec.

À la boutade, une actrice qualifie le théâtre en été de «théâtre endetté». 

Le producteur Jean-Bernard Hébert nous a confié avoir sonné l'alarme à plusieurs reprises auprès de l'Association des producteurs de théâtre privé. «Mais on me dit que si on parle de crise, ça va nuire encore plus. C'est de la pensée magique! Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable.»

Incapable de renouveler son public et de rivaliser avec les nombreux festivals urbains qui offrent des spectacles gratuits, le théâtre d'été est aussi victime de son image. Les créatifs diraient que le théâtre d'été a un gros problème de marque.

Le genre est synonyme de comédies de situation faciles et prévisibles. Un théâtre attirant un public vieux, qui parle haut et fort durant la représentation. Le public des 18 à 40 ans le boude. Les critiques ne le couvrent pratiquement plus. De plus en plus de vacanciers demeurent en ville.

Résultat: les salles de théâtre d'été disparaissent à vue d'oeil. Dans les bonnes années (les décennies 70 et 80), on comptait environ 130 théâtres dans la province. En 2013, il y en a à peine une vingtaine. Parmi eux, certains se tournent désormais vers l'humour ou la musique.

Saison écourtée

Autre signe du déclin: le nombre de représentations diminue. La norme était auparavant de sept ou huit représentations par semaine, entre la mi-juin et la mi-septembre. Désormais, plusieurs théâtres (comme celui de Rougemont et le Théâtre des Cascades) n'ouvrent que trois soirs par semaine.

À La Marjolaine (le théâtre d'Eastman fondé par Marjolaine Hébert il y a 43 ans et racheté par Marc-André Coallier en 2004), la saison a commencé le 18 juillet et se terminera... le 17 août. 

Le Patriote de Sainte-Agathe, qui a déjà été un bastion du genre avec Michel Forget à la barre, n'affiche pas de pièce: on y présente plutôt Claudine Mercier et Beatles Story. À Sorel, le spectacle inspiré de l'émission Dieu merci! est venu au secours du Chenal-du-Moine.

Bien sûr, il y a des exceptions. Des productions qui fonctionnent bien, comme au Vieux-Terrebonne, où l'on annonce des représentations supplémentaires pour La puce à l'oreille de Feydeau. 

À Drummondville, le directeur de la Maison des arts, Rolland Janelle, estime que Sexe Shop, la comédie de Gilles Latulippe, fera environ 25 000 entrées. 

Le Théâtre Beaumont-St-Michel surfe aussi sur des succès depuis que le metteur en scène Michel Poirier en assume la direction artistique. Or, ce théâtre d'été est l'un des seuls établis dans la région de Québec (avec celui de l'île d'Orléans, rouvert depuis peu), qui en comptait huit il y a dix ans.

(Re) séduire le public

Y a-t-il encore un public pour le théâtre d'été en région?

«Très bonne question, répond le comédien Bernard Fortin. Tout le monde [dans le milieu] se pose la question actuellement. La réponse est oui, mais pas comme avant. Il faut (re)séduire le public avec un nouveau produit: le théâtre d'été 2.0, pourrait-on appeler ça. Avec des textes de qualité, du répertoire, mais aussi des créations d'auteurs québécois [comme le font le Petit Théâtre du Nord et le Théâtre les gens d'en bas], des comédies musicales comme en signe Denise Filiatrault à Montréal. Puis, tranquillement, on va aller chercher un nouveau public qui va se déplacer en région.»

Privé de subventions

Or, on ne fait pas du théâtre de qualité sans argent. «À l'époque, on subventionnait le théâtre d'été; plus maintenant», explique Marc-André Coallier. 

«On peut bénéficier de crédits d'impôt, mais pas de subventions, car nous sommes des compagnies à but lucratif. C'est avec mes cachets de la télévision que j'ai pu rénover La Marjolaine. Mes productions font leurs frais, mais je n'arrive pas à rentabiliser la bâtisse», ajoute M. Coallier, qui pense vendre son théâtre.

Selon lui, les théâtres d'été qui vont mieux (comme à Terrebonne, L'Assomption ou Drummondville) font partie de maisons de la culture. Elles diffusent à l'année et jouissent du soutien des municipalités ou de la MRC.

Jean-Bernard Hébert partage cet avis. Il estime que les municipalités doivent s'impliquer davantage et fournir une aide financière aux propriétaires des salles qui attirent des touristes dans leur région. 

«Si ma compagnie peut poursuivre ses activités, c'est grâce aux tournées et aux productions en saison. Pas aux pièces estivales», affirme le propriétaire du Théâtre des Grands Chênes, sans programmation cette saison... car il est à vendre.

«Malgré tout, je crois encore au théâtre d'été. Mais il va falloir changer des choses. Et rapidement», conclut M. Hébert.