Longtemps, il a été le gars du Déclin, un jeune premier trop frisé, trop naïf et trop associé au film de Denys Arcand pour qu'on le voie en audition. Le temps a passé. Il est maintenant le père emblématique des Parent, mais aussi le metteur en scène de Léo, un spectacle ingénieux et insolite, de retour à Montréal après Berlin, Édimbourg et Broadway.

Daniel Brière a de la suite dans les idées. Attablé au café L'Enchanteur, avenue Henri-Julien, il me parle des Parent, cette sympathique série télé où, depuis cinq saisons, il officie à titre de patriarche. Le rôle l'a fait connaître du grand public et on peut dire qu'après 25 ans dans le métier, il était temps.

Dans Les Parent, projet qui gruge beaucoup de son temps, mais qui lui tient à coeur, Daniel Brière a trois enfants. Dans la vraie vie, il a en a trois, aussi du même âge.

«Mais, précise Daniel Brière, je ne suis pas à la télé le même père que dans la vie. Notamment parce que dans ma vie, il n'y a pas un auteur tout-puissant qui règle nos problèmes de famille reconstituée, mais surtout parce que la télé, ce n'est pas la réalité. C'est d'ailleurs l'idée maîtresse qui m'a guidé en travaillant à la mise en scène de Léo

Voilà, nous y sommes: au détour d'une phrase banale, le type qui a de la suite dans les idées a réussi à trouver le lien - ténu, mais un lien tout de même - entre deux objets qui n'ont aucun rapport: d'un côté, une série grand public qui fait le plein de cotes d'écoute tous les lundis soir à la SRC, et de l'autre, un petit spectacle intimiste créé à Berlin avec une compagnie allemande mettant en scène un homme seul enfermé dans une boîte. Le lien, c'est évidemment l'image réfléchie par la caméra qui, par sa seule présence, modifie la réalité.

Dans Léo, une caméra placée à un angle de 90 degrés filme Tobias Wegner du début à la fin. L'acrobate commence assis et immobile avec sa valise, mais assez rapidement, en voyant la caméra, il se met à jouer avec elle. Le public, pendant ce temps-là, a le choix: ou bien il regarde l'interprète en vrai ou bien il reste rivé sur son image magnifiée et projetée sur écran.

«Les trois quarts du temps, le public regarde l'image. Mais j'aime l'idée qu'il soit obligé de se questionner sur son rapport à l'image et qu'il voie, de ses propres yeux, à quel point la réalité et l'image sont deux entités différentes.»

Le rapport à l'image, Daniel Brière en connaît un rayon sur le sujet. À peine sorti du Conservatoire d'art dramatique de Montréal, en 1985, et après avoir tourné un petit rôle dans Qui a tiré sur nos histoires d'amour? de Louise Carré, il a passé une audition pour jouer le jeune et naïf amant de Dominique Michel dans Le déclin de l'empire américain. En fin de compte, ils n'étaient plus que deux: Henri Chassé et lui. Brière a remporté le rôle.

«Mais, plaide-t-il, ça m'a beaucoup nui par la suite. L'étiquette de naïf, de niaiseux, de pas dégourdi m'est restée collée longtemps. Encore tout récemment, quand Philippe Falardeau cherchait un acteur pour interpréter le père dans C'est pas moi, je le jure!, il ne voulait pas me voir en audition, même s'il m'avait déjà confié un petit rôle dans La moitié gauche du frigo. Il trouvait que j'étais encore trop le gars du Déclin. Heureusement, il a changé d'idée.»

À la décharge de Falardeau et de ses semblables, Daniel Brière a beau avoir 49 ans (il fêtera ses 50 ans en janvier), il a l'air d'avoir 35 ans et dégage encore cet air d'éternel jeune premier. Pourtant, non seulement Brière n'est pas né de la dernière pluie, mais c'est un homme de théâtre et un metteur en scène prolifique qui ne se tourne pas les pouces entre deux tournages des Parent.

D'abord, il est codirecteur à temps plein avec Alexis Martin du Nouveau Théâtre Expérimental, depuis 2003. Il avoue qu'à la mort de Jean-Pierre Ronfard, son père spirituel, fondateur avec Robert Gravel (disparu en 1996) du NTE, il s'est senti orphelin et incertain de l'avenir de la compagnie.

«Pendant deux ans, Alexis et moi, on s'est demandé quelle serait la suite des choses et si même il y aurait une suite. On éprouvait une certaine timidité à s'imposer. Finalement, on a opté pour un nouveau départ. Pour moi, ça passait par la mise en scène et l'exploration des nouvelles technologies, un domaine qui était totalement étranger à Jean-Pierre Ronfard et où j'avais subitement toute la latitude pour me redéfinir.»

Daniel Brière n'est pas schizophrène, mais il y a chez lui deux hommes: l'acteur et le metteur en scène. Quant à l'auteur, Brière considère que son écriture est d'abord scénique. Pour ce qui est de l'écriture des textes de ses spectacles, il s'appuie sur deux auteurs: son ami et associé Alexis Martin et sa compagne de vie depuis 20 ans, l'auteure et dramaturge Évelyne de la Chenelière.

À cet égard, le spectacle Léo fait figure d'exception dans son parcours puisque ni Alexis Martin ni Évelyne de la Chenelière n'y ont participé.

C'est un éclairagiste du NTE, de retour de Berlin, qui a tout déclenché. Sachant qu'un producteur de la compagnie allemande Circle of Eleven était de passage à Montréal, il lui a conseillé d'aller voir Daniel Brière. Ce dernier était en pleine répétition du Plan américain avec sa compagne. En voyant Brière se débattre avec les écrans et les projections de la pièce, l'Allemand a immédiatement voulu travailler avec lui.

Pendant un an et demi, entre Montréal et Berlin, Brière a élaboré le concept de Léo avec l'acrobate Tobias Wegner. La production a finalement vu le jour au Festival Fringe d'Édimbourg, en même temps que 2700 autres spectacles. «On jouait dans une salle qui présentait six spectacles par jour dans des conditions épouvantables. Pas de loges, pas de douches, pas de publicité et 20 minutes pour monter et démonter le décor.»

Mais ce qui a mal commencé s'est terminé dans la liesse. Léo a remporté le grand Prix Best of Edimburgh et une invitation d'un mois dans un petit théâtre de Broadway en février 2012. Le reste appartient à l'histoire, puisque le spectacle a été acheté partout, de l'Australie jusqu'à l'Iran, et tournera à dans le monde entier de nombreuses années encore.

Le père de Léo n'est pas peu fier, d'autant plus que le spectacle revient chez lui à Montréal et déploiera son charme et sa magie jusqu'au 24 novembre. D'ici là, si jamais vous voyez Daniel Brière à la télé, dites-vous que ce n'est que son image, et que le vrai Daniel Brière est enfermé entre les quatre murs de l'Espace Libre, à l'ombre de Parthenais, jusqu'à la fin du mois.

Daniel Brière en 4 dates

1) 1986 : Il arrive au NTE à la demande de Jean-Pierre Ronfard qui, après avoir été son prof, l'invite à venir créer avec sa joyeuse bande et lui.

2) 1998 : Il rencontre Évelyne de la Chenelière dans un party chez Jean-Pierre Ronfard. Depuis, ils vivent, travaillent et créent en duo, et ont une fille de 11 ans.

3) 2008 : Début à la télé de la série Les Parent, qui lui a valu son premier prix Artis comme acteur.

4) 2010 : Léo entre dans sa vie et le mène de Berlin à Édimbourg avant de lui ouvrir les portes d'un théâtre de Broadway.