James Thierrée reprend sa «jolie histoire romantique» avec le public montréalais, après une première série de représentations interrompue, il y a deux ans, à cause d'une blessure. À la veille de la reprise de Raoul, hier soir à la TOHU, le petit-fils de Charlie Chaplin a accepté de répondre à nos questions.

Fable fantasmagorique qui relate le combat d'un homme confronté à lui-même, Raoul puise à la fois dans la danse, le théâtre, la magie et le cirque, ce qui lui a valu le titre de spectacle «inclassable». Une étiquette qui plaît à James Thierrée. «Être inclassable, c'est être soi-même, dit-il. Et c'est très dur! Donc, c'est un beau compliment.»

Joué plus de 200 fois depuis sa création en 2008, Raoul a terminé sa vie de tournée le printemps dernier en Australie. La Presse fait le point avec James Thierrée, cet enfant de la balle élevé dans le cirque de ses parents (Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée), qui a fondé sa propre Compagnie du Hanneton il y a 12 ans.

Q: Comment se prépare-t-on à reprendre le combat de Raoul, un spectacle très physique?

R: Vu les arrêts de plus en plus prolongés, j'ai l'impression d'être au pied d'une immense montagne qu'il va falloir escalader. Comme mon personnage! Est-ce que j'ai les jambes, est-ce que j'ai le cran? C'est un spectacle de ressenti autant que d'entraînement physique. Je vais le retrouver, comme un vieil ami. Il est logé dans la mémoire de mes cellules musculaires.

Q: Vous avez parlé d'une véritable rencontre avec le public montréalais, lors de votre passage ici il y a deux ans.

R: Absolument. À force de faire de la scène, on ressent parfois un intérêt, une curiosité de la part du public. J'avais aussi le sentiment de la nouveauté et d'une rencontre, parce que je n'avais jamais joué ici avant et que le buzz était bon. Il y avait quelque chose de frais dans cette rencontre. J'étais dans la ville du Cirque du Soleil et de Robert Lepage, tout simplement, et j'ai senti une belle ouverture à ma proposition.

Q: Vous avez dit que Raoul a été un spectacle marquant pour vous. Pourquoi?

R: À cause de la solitude sur scène. Mais aussi parce que, artistiquement, c'était la conclusion d'un chapitre de ma vie. Jusqu'à Raoul, je puisais dans mon enfance et mon adolescence pour construire mes spectacles. Quand on voit ses parents accomplir des choses magiques, il y a un sentiment qu'on ne peut pas échapper à l'aventure. On est engagé à vivre ses rêves. On est conditionné par notre entourage. On n'en finit pas, jusqu'à la mort, d'ouvrir ses bagages ou de ne pas les ouvrir, de les porter ou non.

Q: Justement, comment avez-vous trouvé votre identité artistique, considérant l'héritage de votre famille?

R: J'ai picoré à gauche et à droite, parce que je n'avais pas le choix. J'ai fait de la musique, du théâtre, de la danse, du mime, de la magie, du cirque... Il a fallu que je transforme tout ça en une force. Parce que je n'allais pas toujours jusqu'au bout d'un apprentissage. Le fait de ne faire partie d'aucune famille artistique m'a empêché, Dieu merci, de me spécialiser. Tout ça m'a aidé à trouver mon langage. Oui, les bagages sont importants, mais après, c'est le mystère de ce qu'on a en soi qui compte. J'ai toujours été un homme instinctif. J'ai trouvé mon langage en travaillant la pâte.

Q Le combat de Raoul est-il aussi le vôtre?

R: Bien sûr. Quand on approche la quarantaine, on vit un moment de questionnement. On se demande ce qu'on va faire de ce premier élan qui nous a été donné. Ce questionnement, c'est la peur des prisons. Tous ces bagages dont je parlais. Plus les années passent, plus notre esprit est chargé et nous encombre parfois, nous enferme. C'est difficile de rester libre à soi-même. On a l'impression d'être tout le temps en réaction. Raoul est un moment de questionnement. Comme un encouragement à faire attention. Quels sont les combats à mener? Menons-nous les bons combats? Dans quelle prison sommes-nous enfermés? L'histoire de Raoul est un parcours de libération.

Q: Parlez-nous de l'importance de faire des spectacles sans paroles.

R: Déjà, je viens de là, de l'expression scénique sans paroles. Tout ce que j'ai connu en grandissant, c'est ça. Et puis, dans un univers qui est dense musicalement, visuellement, corporellement, comment rajouter la parole? Quand on bombarde le spectateur de propositions métaphoriques, évocatrices, symboliques, si en plus on rajoute la parole, il y a un risque d'explosion, de court-circuitage. Des amis me disent parfois: «Alors, quand est-ce que tu vas passer à la parole?» Mais quand je vois l'émotion communiquée par mes spectacles à des gens pas particulièrement cons, pourquoi je ferais autrement?

Q: Qu'en est-il de votre prochain spectacle, Rouge tabac, qui sera présenté à Lausanne en janvier?

R: Je suis à fond dedans. J'ai huit danseurs, une circassienne et un comédien. Je ne serai pas sur scène. Ce sera à la fois très dansé et très théâtral, dans le sens narratif. Le décor sera fait d'objets appartenant au théâtre. Des tables de régie, des projecteurs, des câbles, des perches, des tapis de danse, des roulettes, etc.. Rouge tabac raconte la chute d'un système. Quelque chose d'organisé qui s'écroule.

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Raoul, jusqu'au 13 septembre à la TOHU