Demain, Dany Laferrière rendra hommage à Alfred DesRochers aux Correspondances d'Eastman. La prestation qu'il offrira avec Clémence DesRochers durera une heure trente. Ce qui se passera pendant ces 90 minutes? N'essayez pas de le savoir: l'écrivain ne vous dira rien. «Parce qu'il faut venir voir et entendre. Ça entre dans ma vision de la vie: pour savoir ce que c'est, il faut le vivre. C'est ça, le charme d'un événement pareil», explique celui qui prend plaisir à plonger dans le Québec d'avant à travers les écrits du poète d'Orford.

«Il évoque un Québec que je n'ai pas connu. Je suis arrivé en 1976. J'aime savoir ce qui s'est passé avant. Comme un enfant qui veut qu'on lui raconte comment était le monde avant sa naissance.»

Le Québec du grand Alfred, c'est celui qui se trouve à l'ombre de l'Orford. Il est tissé de forêts et de champs, du cycle des saisons, de chantiers où les bûcherons ne craignent pas le travail à abattre. Entre autres.

«DesRochers évoque un pays un peu sauvage, où tout ne se passe pas qu'à Montréal et où l'art de vivre est contraire à celui d'aujourd'hui. Ce monde-là est régi par le travail et l'effort. Je n'en fais pas l'éloge, remarquez, mais je constate que pour en changer, on a basculé dans le contraire complet. Je trouve par ailleurs que DesRochers jette un regard moderne sur tout ça. On évoque souvent le grand barbu, le grand poète, l'homme des bois. Mais lorsqu'il a écrit ses livres, il était un jeune homme dans la fin de la vingtaine, très cultivé, mais ancré dans son coin. On voit bien, cela dit, qu'il s'intéresse à la ville et aux grands thèmes qui se dessinent. Il écrit avec beaucoup d'élan, mais il manie la langue avec sobriété.»

Grand auteur, grand lecteur, Laferrière est un habitué des Correspondances d'Eastman. L'événement, qui souffle cette année dix bougies, a su s'imposer dans le paysage culturel québécois en raison de sa formule à la fois simple, fraîche et originale, croit celui qui s'est mérité le prestigieux Médicis pour son roman L'énigme du retour.

«Cette idée de s'écrire va tellement à l'encontre du règne du courriel! Il y a un côté passéiste à tout ça, mais il y a beaucoup d'avant-garde aussi. Parce que nous allons finir par nous fatiguer de toute cette technologie.»

Vraiment?

«Mais oui. Depuis toujours, dans l'histoire de l'humanité, on l'a fait. Quand la photographie est apparue, on a cru qu'il devenait inutile de peindre. Quand le cinéma est né, on a pensé que la photographie serait désormais désuète. Quand la télé a gagné tous les foyers, on a dit que c'en était fini du cinéma. Finalement, rien de tout ça ne s'est avéré. Toutes ces formes d'art coexistent.»

Rythme lent

Elles se fondent d'ailleurs ensemble cette année aux Correspondances, puisque le festival se déroule sur le thème du Bal des lettres et des arts.

«L'événement est complètement en phase avec les lieux : l'ambiance est festive sans être trop éclatante. Personne n'a l'air de se presser.»

Ce rythme lent plaît évidemment à l'auteur de L'art presque perdu de ne rien faire. Il s'y retrouve, s'y reconnaît.

«J'ai abordé cette question dans mon livre. On est constamment bousculé. Mais il ne suffit pas d'aller moins vite, pour ralentir. Ce n'est pas seulement une question de rythme. C'est aussi être bien centré en soi-même.»

Dans son épicentre à lui, il y a l'écriture. Précieuse, nécessaire. Si d'autres écrivains parlent du processus d'écriture comme d'une douloureuse traversée en eux-mêmes, Dany Laferrière ne loge pas à cette enseigne.

«L'écriture est source de plaisir. Ce qui ne signifie pas que toute douleur soit effacée. On a ici un drôle de rapport avec la douleur. On consomme toutes sortes de pilules pour la gommer. Ce faisant, on est en train d'effacer quelque chose d'inhérent à la douleur qui s'appelle la vie. Peut-être la douleur nous dit-elle quelque chose de plus grave... Mais on ne veut pas l'entendre, on l'anesthésie. On nous a fait croire que la vie est une grande fête et cette promesse enfantine, on y a cru. Tellement qu'on a du mal à se figurer les choses autrement, on tient pour acquis qu'on a droit à ça. Le reste de la planète ne vit pas ainsi. Quand j'étais plus jeune, je me souviens que ma mère souffrait de maux de dents. Quand je lui disais de prendre une aspirine, elle me répondait que sa petite douleur l'empêchait de penser à une autre, plus grande. Il y a quelque chose, là.»

Entre plaisir et douleur, il a probablement un livre en chemin. Mais Dany Laferrière le nimbe de mystère, cultive le secret. Volontairement. Le romancier ne parle pas de l'hommage à DesRochers, il ne cause pas davantage de ses ouvrages en devenir.

«Parce que si les plans changent en cours de route, on se fera toujours demander par des lecteurs où on en est avec ce livre qui dort, dont ils ont entendu parler. C'est celui qu'ils attendent alors que pour moi, les livres n'existent que lorsqu'ils sont en librairie.»

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Hommage au poète

Alfred DesRochers Clémence DesRochers et Dany Laferrière

Demain, à 13 h 30

Théâtre de La Marjolaine

Entrée: 22 $