Comme l'ont si joliment écrit Sophie, Véronique et Antoine, Jean-Guy Moreau est mort hier à la levée du jour. Et s'il a quitté la scène de notre quotidien, c'est pour un plus gros show là-haut. Quelque chose me dit que papa Jean-Guy aurait bien apprécié ce petit message empreint d'humour et de tendresse de la part de ses trois enfants.

Toute la journée hier, ceux qui lui ont rendu hommage dans les médias n'ont cessé d'imaginer Jean-Guy Moreau accueilli aux portes du paradis par René Lévesque et Jean Drapeau, comme si son souvenir était désormais indissociable de ces deux hommes politiques. Et d'une certaine manière, c'est un juste retour des choses, puisque ce sont Lévesque et Drapeau qui lui ont permis de faire ses plus grandes imitations, ses plus affectueuses aussi.

Jean-Guy Moreau n'a jamais été très dur ou méchant envers ceux qu'il imitait. Contrairement au très caustique et acide Claude Landré, qui l'a précédé dans l'Histoire de l'imitation québécoise, Jean-Guy Moreau était un doux, un tendre, un rêveur et un éternel adolescent, incapable de porter le coup acéré et fatal qui démolit une personnalité publique et détruit sa réputation. Plus proche du comédien que du caricaturiste, du peintre que du critique social, Moreau se glissait dans la peau de ses personnages en cherchant certes à reproduire la tonalité et la texture de leur voix, mais en visant avant tout leur essence et leur esprit. Des fois, le résultat était lumineux. Des fois, il était émouvant à souhait. Des fois aussi, il tombait à plat.

J'ai déjà écrit que de tous les humoristes québécois, Jean-Guy Moreau était le plus humble, le plus effacé, celui dont l'ambition logerait facilement dans un coffre à gants. Il me l'avait confirmé lui-même lors d'une interview, il y a plus de 10 ans, alors qu'il faisait le tour des petits clubs de province avec son nouveau spectacle, Le chum à Céline. «Je suis un intermittent, un survenant, quelqu'un sans ambition précise. J'aime faire les choses pour le plaisir. Dès qu'il y a une pression ou une obligation, ça m'intéresse moins», m'avait avoué celui qui venait par la force des choses de remplacer sous les projecteurs le personnage de René Lévesque par celui de René Angélil.

Le mot intermittent décrit bien cet homme qui, pendant 50 ans, a occupé la scène par intermittence, menant une carrière en dents de scie, se cherchant à travers les autres et se demandant si un jour il finirait par découvrir, derrière l'imitateur, le vrai Jean-Guy Moreau.

Chose certaine, Moreau a été un pionnier. Il a donné à l'imitation ses lettres de noblesse en la sortant des clubs et des cabarets. Mais aussi en créant d'authentiques spectacles, avec un propos, une structure, une construction dramatique, des décors et des éclairages, dans lesquels ses imitations surgissaient comme autant de figures emblématiques d'une Histoire en continu. Il a influencé toute une nouvelle génération d'imitateurs qui n'ont pas tardé à le dépasser techniquement et vocalement. Malheureusement, trop d'entre eux n'ont rien retenu de son esprit ni de sa volonté d'être non seulement un imitateur, mais un imitateur au service de l'Histoire. Ses héritiers sont devenus de puissantes machines à imiter et d'impeccables magnétoscopes, mais sans rien à dire sur ceux qu'ils imitaient et sur les événements qui les avaient forgés.

Au moment de sa mort, Jean-Guy Moreau était en train de faire un ultime retour avec une websérie, mais aussi avec un spectacle de boîte à chansons monté par son vieux chum, Charlebois. Il est pour ainsi dire mort en plein show, ce qu'il devait souhaiter. Je ne sais pas si Lévesque et Drapeau l'attendaient aux portes du paradis. J'espère seulement que l'imitateur y a retrouvé celui qu'il a cherché toute sa vie: Jean-Guy Moreau.