La maltraitance des personnes âgées occupe une place importante dans l'espace médiatique depuis un certain temps. Maltraités par des soigneurs professionnels, dépouillés par leurs enfants, plusieurs aînés souffrent de rejet et d'abandon. Gilles Renaud a beaucoup répété ces dernières semaines que ce drame se trouve aussi au coeur du Roi Lear, tragédie de Shakespeare où il tient le rôle-titre.

Il est vrai que la manière dont Lear est rejeté par deux de ses filles, Gonoril (Pascale Montpetit) et Regan (Marie-Hélène Thibault), peut faire penser aux conflits qui surviennent dans certaines familles au moment de partager l'empire ou l'héritage du père. Ou le sentiment de dépossession qui happe les personnes âgées mises au ban de leur famille et de la société en étant placées dans un établissement spécialisé.

L'espace scénique dans lequel Denis Marleau place l'action renforce d'ailleurs cette idée. Il fait penser à un sombre couloir d'hôpital ou de CHSLD, un peu allégé par des écrans placés en hauteur où sont projetées des images évoquant divers lieux (forêts, coin de rue, etc.). La mise en scène s'appuie aussi sur de belles maquettes de Guillaume Lachapelle qui symbolisent à merveille le royaume convoité, partagé puis attaqué, mais sans convaincre qu'elles ne servent pas d'abord de joujou.

Le caractère dépouillé de la scénographie laisse au metteur en scène tout l'espace nécessaire à mettre en valeur le texte et les acteurs qui le portent. Sur ce plan, c'est une grande réussite. Pivot de la pièce, Gilles Renaud est imposant de fragilité. Paul Savoie est, lui aussi, exceptionnel en Gloucester, un comte lui aussi bousculé dans son rôle de père. Marie-Hélène Thibault, elle, est délicieusement perfide et apporte une touche charnelle à ce spectacle autrement aride et statique.

Denis Marleau ne met pas en scène un théâtre d'action ou d'émotion. Son Lear est assez froid et insiste plutôt sur la mécanique du mensonge mise en branle par un roi orgueilleux, prêt à donner à condition d'être flatté. La sincérité est vite broyée dans cet univers où la duplicité est reine: seuls ceux qui jouent le jeu s'en tirent en premier lieu. Et c'est dans cette joute où chacun joue un rôle - en particulier les frères ennemis Edmond (David Boutin) et Edgar (Vincent-Guillaume Otis) - que la production de Denis Marleau trouve sa force et tend vraiment un miroir à notre époque.

Le roi Lear, comme d'autres pièces de Shakespeare, use de l'artifice premier du théâtre: le faire semblant. Déjà forcés de jouer plus d'un rôle à l'intérieur même de la pièce, les acteurs doivent ici composer avec la difficulté d'être placés dans un décor impersonnel, dans des costumes peu typés et dans une mise en scène rigide qui souligne le caractère fictif de la représentation théâtrale.

Dans une veine semblable, l'Andromaque de Serge Denoncourt présenté à Espace Go l'an dernier possédait beaucoup plus de tripes et autant de finesse. Mais ce Roi Lear pour la tête mené par Denis Marleau en impose aussi grâce à sa distribution chevronnée.

Jusqu'au 7 avril, au TNM.