Évelyne de la Chenelière éclate de rire quand on lui demande si elle a jamais songé à devenir enseignante, comme l'un de ses personnages les plus connus, Bashir Lazhar.

«Non!», dit-elle avec un large sourire en sirotant un cappuccino dans un café branché de Montréal. «Mon Dieu, je pleurerais toute la journée, chaque jour.»

La dramaturge s'empresse de préciser qu'elle blague, tout en soulignant que les enseignants ont d'énormes responsabilités et qu'ils ont besoin de plus d'énergie que ce dont elle dispose.

«Je les admire beaucoup», affirme-t-elle. «J'avais beaucoup de compassion pour mes enseignants. Je ne les taquinais jamais parce que je sentais que je devais leur montrer que j'étais intéressée même si je ne l'étais pas.»

Bashir Lazhar a gagné de multiples admirateurs depuis sa première apparition, en 2007, dans la pièce à un seul personnage écrite par Mme de la Chenelière, jusqu'à son passage au grand écran dans le film de Philippe Falardeau, «Monsieur Lazhar», maintenant en lice pour un Oscar.

Comme le long-métrage, «Bashir Lazhar» raconte l'histoire fascinante d'un immigrant algérien qui aide une classe de jeunes élèves à se remettre du suicide de leur enseignante. C'est un récit touchant, complexe, qui montre M. Lazhar en train de gérer les différences culturelles au sein d'une école primaire de Montréal tout en étant confronté à sa propre tragédie.

En plus d'avoir fait courir les foules au cinéma, «Monsieur Lazhar» est en nomination pour l'Oscar du meilleur film de langue étrangère qui sera décerné dimanche à Hollywood. C'est la deuxième année consécutive qu'une adaptation cinématographique d'une pièce québécoise place le Canada au coeur de la course aux Oscars. L'an dernier, le film de Denis Villeneuve, «Incendie», basé sur la pièce de Wajdi Mouawad, était rentré bredouille.

«Je trouve ça très excitant», confie Évelyne de la Chenelière. «Ce sera fantastique d'être tous ensemble pour vivre cette expérience inattendue et unique.»

L'auteure, dont le père a fondé une maison d'édition de manuels scolaires francophones bien connue, explique que Bashir Lazhar est le résultat de plusieurs idées collées ensemble. Elle souhaitait prendre une direction différente de celle qu'elle avait adoptée pour ses oeuvres précédentes qui, dit-elle, étaient très instinctives et reflétaient son propre point de vue.

«J'ai voulu essayer, avec de la recherche, de l'imagination et de la compassion, de parler de quelque chose qui m'était très étranger.  Devoir quitter un pays à cause du terrorisme, je n'ai jamais rien vécu de ce genre», explique-t-elle.

Mme de la Chenelière, qui a remporté un Prix du Gouverneur général en 2006 pour sa pièce «Désordre public», était aussi fascinée par la violence et la manière dont les gens y font face. L'Algérie natale de M. Lazhar est déchirée par la guerre civile et le terrorisme, mais le Québec, tout démocratique soit-il, comporte aussi sa part de violence mortelle, fait-elle valoir.

«Je voulais, d'une certaine façon, une collision entre ces deux types de violence», admet-elle.

La jeune femme de 36 ans, qui a collaboré avec M. Falardeau à l'adaptation de sa pièce, se dit heureuse de «Monsieur Lazhar». «J'aime ça parce que je ne voulais pas revoir la pièce, je ne voulais pas que ce soit identique. Ce n'était pas le but de l'exercice. Quand Philippe Falardeau travaillait dessus, j'ai vraiment souhaité qu'il parte de la pièce et qu'il utilise toute sa liberté pour en faire son propre film, et c'est ce qu'il a fait.»

M. Falardeau a souligné par le passé la contribution de la d'Évelyne de la Chenelière, déclarant qu'elle comptait parmi les premières personnes à qui il avait demandé de lire son scénario.

«Je voulais qu'elle me rappelle à l'ordre chaque fois que je partais dans une direction qui aurait pu trahir l'essence même du personnage de Lazhar», a-t-il dit, estimant que Mme de la Chenelière était une écrivaine «incroyablement talentueuse».

La créatrice, qui est aussi une actrice, incarne dans le film la mère d'un élève. «Pour Philippe, c'était un moyen de faire voir la dramaturge disant 'merci» à son propre personnage et j'ai pensé que c'était une idée splendide.»

Évelyne de la Chenelière, qui a quatre enfants, a aussi participé au long-métrage «Café de Flore», qui est en lice pour un prix Génie. Sa prochaine pièce, dans laquelle elle jouera, est une adaptation du roman «Une vie pour deux» de Marie Cardinal. Elle travaille également à son deuxième roman.

Même si elle affirme que son jeu et son écriture se nourrissent mutuellement, l'auteure, qui écrit des pièces depuis l'âge de 15 ans, dit qu'elle repart chaque fois à zéro. «Je pense que l'écriture nous présente une nouvelle façon de nous reconnaître nous-mêmes», conclut-elle.