La grande Denise Filiatrault l'aime d'amour! Au point de lui confier une pièce qu'il porte (pratiquement) seul sur ses épaules au Rideau Vert. Avant d'être le héros de deux téléséries, Éric Bernier a fait sa marque dans le théâtre de création. Et il est devenu l'ami de tout le milieu, de Robert Lepage à Wajdi Mouawad! Portrait avec retouches.

Éric Bernier est déjà là, avant l'heure, lorsque le journaliste se pointe au café norvégien dans la Petite Patrie. L'acteur a choisi l'endroit et réservé une grande table au fond. Il s'informe si ça convient. Puis, il se lève pour lire l'ardoise. «Il faut à tout prix que tu essaies les boulettes norvégiennes en sauce... Ou bien les blinis caviar gravlax. Miam!»

La première chose qu'on remarque, c'est sa gentillesse. Éric Bernier est un bon gars, attentionné, aimable. Pas seulement pour partager ses choix gastronomiques. Il vous suggère d'aller voir un nouveau centre d'art contemporain dans Griffintown (L'Arsenal). Vous aimez Chet Baker? Il connaît un petit bar jazz, boulevard Saint-Laurent, qui vient d'ouvrir. Vous admirez ce lustre au-dessus de la table. Il cherche sur son iPhone l'adresse d'un magasin de lampes, tout près, rue Beaubien... Gentil, disions-nous!

Après deux beaux succès télévisuels (Les hauts et les bas de Sophie Paquin et Tout sur moi - série pour laquelle Bernier a récolté, en septembre dernier, le Gémeaux du meilleur premier rôle masculin dans une comédie), l'acteur remonte sur les planches dans Vigile (ou Le veilleur), sous la direction de Martin Faucher. Toutefois, le comédien n'a jamais abandonné le théâtre, son premier amour. On l'a vu dans des rôles secondaires au TNM, à La Licorne, chez Duceppe et récemment dans La Cage aux folles aux côtés de Benoît Brière (la pièce sera reprise en 2013 en tournée à travers le Québec... mais sans lui).

Or, dans Vigile, une pièce à deux personnages signée Morris Panych, Bernier joue un premier rôle (Kemp, un commis de banque, célibataire et solitaire, qui veille une vieille tante malade sur son lit de mort (Kim Yaroshevskaya). Kemp plaque tout pour s'occuper de sa tante Grace et renouer avec elle. Au début, il est maladroit, angoissé et très sarcastique. Puis, peu à peu, un lien va se tisser entre la vieille dame et son neveu: «Mon rôle est presque un monologue: Grace lance quelques répliques seulement à la fin de la pièce, explique-t-il. Mais Kim est très présente dans ses silences, toujours en réaction aux propos de Kemp. Elle dialogue... sans parler.»

À chacun sa vérité

D'une scène à l'autre, Kemp se dévoilera, vulnérable malgré son humour noir. L'écriture de Morris Panych, un auteur albertain qui vit à Vancouver, est remarquable. Elle mêle des répliques absurdes, slapsticks, avec des réflexions dramatiques et humanistes. Pour l'auteur, le théâtre expose une multitude de vérités. Et c'est au spectateur de se faire sa propre vérité.

«C'est une pièce sur l'intimité, la rencontre de deux solitudes, ajoute Bernier. Ça parle du vertige de s'ouvrir à un être, de dépendre de quelqu'un. Plus on s'attache, plus on s'ouvre à l'autre... plus on a peur d'ouvrir de vieilles blessures. Car il faut du courage pour aimer! C'est facile d'être cynique et d'affirmer: "Moi, je n'ai pas besoin de personne..." À mes yeux, c'est lâche!»

Quand Éric Bernier a lu Vigile la première fois, à la demande de son ami, le metteur en scène Martin Faucher, le texte l'a «jeté complètement par terre». «J'avais l'impression de revoir mon enfance, ma vie... même si elle n'est pas aussi horrible que celle du personnage. Vigile arrive à un moment charnière de ma vie. Je vieillis (47 ans en août prochain). Je suis dans une période de transition dans ma carrière avec la fin de Tout sur moi. Je ferai uniquement du théâtre pour les deux prochaines années.

«Sur plan personnel, je suis confronté au deuil d'êtres chers. Ma mère a 82 ans et habite dans un foyer à Saint-Hyacinthe (mon père est mort il y a plusieurs années). Maman est très malade. Je vais la visiter le plus souvent possible. Même si elle ne communique plus. Alors je lui fais des blagues, je la maquille, je la coiffe... Comme dans la pièce!»

En face de chez Wajdi

Fils cadet d'un ingénieur de Chicoutimi, Éric Bernier part à 9 ans vivre au Liban où son père a déniché un emploi. Beaucoup plus tard, en regardant des photos, il découvre qu'ils habitaient à Beyrouth juste en face de chez Wajdi Mouawad! En mai 2013, l'acteur retournera à Beyrouth pour jouer Incendies avec Mouawad et la troupe qui a créé la pièce au Quat'Sous, en 2003: «Je vais boucler une boucle», dit-il emballé.

À l'époque, au Liban, c'est la guerre: la famille revient au Québec. À la fin du secondaire, Éric découvre le théâtre. Il monte une création avec des camarades pour un cours. Sur une scène de l'agora de la polyvalente de Saint-Bruno, observé par des centaines d'élèves attentifs, le garçon timide et weird éprouve un sentiment étrange, exaltant: «Se sentir compris et entendu, c'est la chose le plus gratifiante du monde», confie l'acteur qui a été victime d'intimidation et d'homophobie à l'école.

À la fin de l'adolescence, son role model, c'est Morrissey, le chanteur androgyne du groupe The Smiths. Mais c'est un roman qui va profondément marquer Bernier: Confessions d'un masque. «Mishima explique que très tôt, à 5 ou 6 ans, les homosexuels apprennent à porter un masque pour survivre; pour se faire accepter, explique-t-il. Au fond, le coming-out, c'est la décision de retirer son masque pour se libérer. Et enfin être soi-même!»

L'acteur dit ça avec aplomb. Pourtant, son coming out est arrivé sur le tard, à 27 ans, après un grand amour et un mariage (à l'église!) avec la comédienne Valérie Blais. Le couple se sépare - mais ils demeurent les meilleurs amis du monde - alors que chacun amorce sa carrière d'acteur. Éric fait ses premières rencontres gaies dans les bars du Village et aux «mardis interdits», au Lézard, rue Saint-Denis.

En 2006, alors que son visage devient plus connu, il «sort du placard», sans tambour ni trompette. «Je pourrais devenir une icône gaie au Québec, dit-il. (NDLR: Bernier est l'un des porte-parole de la Fondation Émergence et de Gai-Écoute.). Mais je refuse beaucoup de demandes pour parler de mon orientation sexuelle sur des panels, dans des talk-shows, etc. Je ne veux pas devenir un "acteur gai". Je suis un acteur. Mon métier, c'est d'interpréter des personnages. Pas de donner des conférences sur l'homosexualité.»

La recette de brownies!

Paradoxalement, si on pense tout connaître sur lui, à cause des intrigues télévisuelles écrites par Stéphane Bourguignon, Bernier se définit comme un homme pudique, pas très public. «Présenter mon couple dans La semaine ou 7 jours? Non merci! Il y a des acteurs qui ont besoin de ça pour exister, c'est leur choix. Moi, je trouve qu'il y a un danger à trop s'exposer dans toutes sortes d'émissions pas rapport, dit-il. Je ne veux pas donner des recettes de brownies dans un show de cuisine; comme ça, je ne risque pas que le spectateur pense à ma recette en me voyant jouer.»

Cela dit, l'acteur n'a rien d'un puriste. «Au théâtre, j'aime bien quand il y a des ramifications entre la fiction et la réalité. En général, les performances intéressantes, c'est lorsqu'il y a un flou entre l'acteur et le personnage; qu'on ne sait pas trop où commence l'un et où finit l'autre.»

Comme avec Vigile où Bernier retrouve une idole de son enfance: Fanfreluche. «Enfant, j'étais borderline autiste, renfermé, collé à la télévision. Et Kim m'a un peu sauvé la vie avec Fanfreluche. Grâce à ses contes qu'elle narrait avec sa voix si unique, elle m'a fait découvrir le monde de l'imaginaire. Quand je la regardais avec Hélène Loiselle (qui jouait des sorcières), Andrée Lachapelle et François Tassé (qui incarnaient des princesses et des princes), j'avais l'impression que j'allais les rencontrer, un jour, quand je serais grand...

«Et aujourd'hui, j'ai travaillé avec tous les quatre!»

EN MUSIQUE...

Éric Bernier est aussi le chanteur du groupe BOB, avec les musiciens Bernard Falaise (qui fait partie de L'Opéra de Quat'sous, présentement à l'affiche à l'Usine C), Michel F Coté et Guy Trifiro.

On peut écouter quatre pièces de l'album Unstable Friends sur MySpace: https://www.myspace.com/bobunstablefriends

Vigile (ou Le veilleur), au Théâtre du Rideau Vert, du 31 janvier au 3 mars.

Vigile, de Morris Panych, sera présentée en anglais au Segal Theatre, avec deux autres comédiens, dans la mise en scène de Martin Faucher, du 11 mars au 1er avril.

Aussi, le Théâtre Centaur présente en première mondiale In Absentia, la toute nouvelle pièce de Morris Panych, du 31 janvier au 4 mars.

ÉRIC VU PAR WAJDI MOUAWAD...

Comment qualifiez-vous l'acteur de théâtre que vous avez dirigé pour la première fois, en 1998, dans Willy Protagoras enfermé dans les toilettes?

De la glaise animée d'une capacité à se modeler elle-même sans censurer aucune forme.

Un rôle du répertoire que vous aimeriez lui confier sur un projet de rêve (sans contraintes de budget, de temps, ni de programmation)?

Iago et Othello en même temps et dans la même production! (NDLR: le perfide Iago de la tragédie de Shakespeare rend fou de jalousie Othello, comme son double diabolique.)

Quelle est la principale qualité d'Éric Bernier comme collaborateur dans vos créations à la scène?Il force à chercher la sensibilité et l'humanité dans des endroits où on ne pensait pas les trouver.

Photo: Laetitia Deconinck, Archives Le Soleil

Wajdi Mouawad

ÉRIC VU PAR MACHA LIMONCHIK...

L'amitié entre Valérie, Macha et Éric est légendaire à la télé! Comment est-il comme ami dans la vie?

Un ami parfait! Généreux, curieux, ouvert, drôle, à l'écoute. Un beau romantique et naïf. (Il ne va pas aimer lire naïf...) Et un merveilleux «tonton» pour ma fille de 5 ans!

Son spectacle le plus marquant à vos yeux?

Dans Le mystère d'Irma Vep, Éric jouait (avec Serge Postigo) plusieurs personnages complètement délirants. On a pu découvrir l'acteur comique. Éric a un humour original, tordant et pas du tout cynique. Un humour qui ne ressemble à celui de personne. Cette pièce rendait justice au talent et à la folie d'Éric.

Un secret (un tic) qu'il ne voudrait pas partager?

Il aime la mode, le design, mais il n'est pas obsédé comme son personnage de Tout sur moi. Sauf pour ses cheveux... Il est à la recherche du cheveu parfait. Sa coiffure est un work in progress. Il l'analyse dans le moindre détail. Ses coiffeurs doivent avoir peur de lui! (rires)

Photo: Robert Skinner, La Presse

Macha Limonchik