Un nouveau chef d'orchestre, l'interprète du rôle principal qui se désiste au dernier moment et l'utilisation d'une nouvelle technologie complexe permettant de simuler la 3D: on peut dire que Robert Lepage ne l'a pas eu facile pour la création de Siegfried, jeudi soir au Metropolitan Opera. Pourtant, ce troisième des quatre opéras du fameux Ring de Wagner signé Lepage a éclipsé les deux premiers.

Lepage nous avait mis l'eau à la bouche en annonçant qu'il allait utiliser des projections simulant la 3D grâce à un outil made in Québec dans le deuxième acte de Siegfried.

Or la forêt dans laquelle grouillent toutes sortes de créatures est d'abord et avant tout un fort beau décor naturel dans lequel les chanteurs multiplient les allées et venues. Même les coups de théâtre qu'affectionne Lepage, comme ces jets d'eau provoqués par Siegfried quand il frappe le sol avec son épée, ne détournent pas l'attention de l'essentiel: la déchéance progressive du dieu Wotan devenu un Voyageur errant à la longue chevelure grise digne d'un Leon Russell, et le triomphe de son petit-fils et adversaire Siegfried, le héros qui ne connaît pas la peur.

La fameuse «machine» de 24 planches amovibles qui sert aux quatre opéras du Ring se métamorphose sous nos yeux au début de chacun des trois actes, le temps d'installer le décor voulu, de la forge du nain Mime à la montagne gardée par le Voyageur en passant par la forêt aux images interactives. Comme celle de l'oiseau, conseiller du héros, qui se déplace à sa guise dans ce décor en relief et donne même l'impression de réagir à ce que lui dit Siegfried.

Cet opéra porte évidemment la signature de l'as-conteur qu'est Lepage qui innove en nous montrant un jeune Siegfried au tout début de l'opéra et qui s'amuse avec un dragon géant dont les ficelles sont tellement apparentes que le public complice en rigole.

Le seul couac important est survenu au milieu du troisième acte quand la montagne où venaient de s'affronter le Voyageur et Siegfried s'est muée en un plateau ceinturé de flammes où dormait Brünnhilde la Walkyrie: les 24 planches ont fait tellement de bruit en se déployant qu'elles en ont enterré l'orchestre. Le public du Met ne semble toutefois pas en avoir tenu rigueur à Lepage et son équipe puisque pour la première fois depuis le début de ce Ring, on n'a entendu aucune huée quand ils sont venus saluer à la toute fin.

Ce Siegfried mise sur une distribution très solide. On a déjà dit tout le bien qu'on pense des «basses-barytons» Bryn Terfel (Wotan/le Voyageur) et Eric Owens (Alberich) dans les chapitres précédents, et si la soprano Deborah Voigt ne fait pas l'unanimité chez les amateurs d'opéra, sa Brünnhilde est vibrante au dernier acte. Quant au Mime du ténor allemand Gerhard Siegel, il se distingue surtout par son côté clownesque qui ne détonne pas trop dans cet opéra qui compte quelques moments légers sinon comiques.

La révélation de la soirée fut sans aucun doute le ténor Jay Hunter Morris venu remplacer au pied levé un Gary Lehman affaibli par la maladie. Morris n'a eu droit qu'à un minimum de répétitions avant la générale mais rien n'y paraissait: le chanteur de Paris, Texas, fait un Siegfried crédible, naïf sans être niais, fougueux et qui chante juste du début à la fin.

Le maestro Fabio Luisi, nommé chef principal depuis que James Levine s'est blessé en faisant une chute l'été dernier, dirige l'orchestre du Met avec doigté, dynamisme et célérité tant et si bien qu'il a retranché tout près d'une demi-heure à un spectacle qui devait faire cinq heures et demie. Le public du Met, qui considère Levine comme un dieu, a accueilli son remplaçant par des acclamations quand il a pris sa place sur le podium avant les deuxième et troisième actes.