C'est demain qu'aura lieu la première mondiale d'Iris, spectacle permanent du Cirque du Soleil à Los Angeles. À quelques heures de la mise en orbite de cette 30e création du Cirque, La Presse s'est entretenue avec le metteur en scène français Philippe Decouflé et la cofondatrice des 7 doigts de la main, Shana Carroll, qui a chorégraphié tous les numéros acrobatiques.

On peut dire que le Cirque du Soleil s'est véritablement mis en danger pour la création de ce 11e spectacle permanent qui sera présenté à L.A. pendant les 10 prochaines années! Un spectacle sur l'histoire du cinéma proposé à la face même d'Hollywood par une troupe québécoise et un metteur en scène français, qui qualifie lui-même le projet de «casse-gueule» et de «dangereux». Pas étonnant que le Cirque ait travaillé trois ans sur le projet.

Autre caractéristique de cette production de 100 millions de dollars, qui sera à l'affiche du Kodak Theatre 11 mois par année: une volonté des créateurs de présenter un spectacle plus sobre et minimaliste que les précédentes productions du Cirque du Soleil. Un spectacle plus intime et plus proche du public, qui fera la part belle aux acrobates.

«Je ne voulais pas mettre trop de couleurs dans ce spectacle, contrairement à certaines productions du Cirque qui ressemblent à de gros desserts avec beaucoup de décorations et de bougies. J'étais à la recherche d'une certaine sobriété», confie Philippe Decouflé, qui a été épaulé par une équipe d'une quinzaine de créateurs, incluant Jean-François Bouchard et Shana Carroll, des 7 doigts de la main.

L'embauche de cette dernière n'est pas anodine. Elle-même issue du Cirque du Soleil, où elle a travaillé pendant sept ans comme trapéziste, Shana Carroll a cofondé les 7 doigts de la main en 2002 avec l'objectif de créer des spectacles à échelle humaine. «Je suis toujours à la recherche de qualités humaines et émotionnelles, dit-elle. D'intimité et de connexion avec le public. C'est ce que j'ai essayé de faire avec Iris

Shana Carroll évoque la mise en place de détails subtils. «Il y a des moments de silence, où le public est dans l'attente, dans l'anticipation. C'est nouveau ça. Il n'y a souvent qu'une action à la fois. Et puis le contenu émotionnel est aussi important que le numéro acrobatique, dit-elle. On le sent bien dans le numéro d'équilibre et dans un numéro de sangles aériennes qui passe au-dessus du public.»

C'est Decouflé qui l'a invitée à travailler sur Iris. «Nous avions travaillé sur un projet aérien il y a 10 ans, qui n'a malheureusement jamais vu le jour. Mais j'avais eu un bon contact avec lui, indique Carroll. Philippe est quelqu'un qui travaille en collégialité, qui est à l'écoute de chacun des artistes. Ç'a été une belle expérience.»

Les origines du cinéma

Fable fantasmagorique qui retrace les grands moments du cinéma, Iris nous fait voyager dans le temps, de la première machine optique à la fin du XIXe siècle aux studios de cinéma des années 40, en passant par les premières images de décomposition du mouvement.

Deux personnages servent de fil conducteur: un jeune poète appelé Buster et une femme, Scarlett, créature de ses rêves qui deviendra une vedette hollywoodienne. «C'est une sorte de jeune fille aux allumettes qui se transforme en Marilyn Monroe», précise Philippe Decouflé.

Le niveau de difficulté des 10 numéros d'Iris est élevé. Là-dessus, le Cirque ne fait aucun compromis. Trapèze, bal aérien, main à main, jeux icariens (dont un extrait a été présenté à l'émission America's Got Talent), sont notamment au programme. Sans oublier un dangereux numéro de trampolines, où se multiplient des scènes de combats sur des toits d'édifices, qui a fait des blessés durant les répétitions.

Les 72 artistes qui fouleront la scène du Kodak Theatre, incluant les musiciens et un choeur de danseurs, ont été guidés par Philippe Decouflé et une dizaine de collaborateurs français associés à sa compagnie DCA (Diversité, Camaraderie, Agilité), dont le costumier Philippe Guillotel, complice de longue date, qui a notamment travaillé sur LOVE.

Danseur et chorégraphe influencé par Merce Cunningham, mais aussi par le mime Isaac Alvarez ou encore le bédéiste Tex Avery, Decouflé est réputé pour son sens de l'humour décalé et absurde, ses univers ludiques et ses projections vidéo léchées. Il a notamment mis en scène les spectacles d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques d'Albertville en 1992.

Au départ, il faut le souligner, le projet a germé dans la tête de Daniel Lamarre, également en 1992, après que le Cirque du Soleil ait fait un numéro remarqué à la cérémonie annuelle des Oscars. Le PDG du Cirque du Soleil a ensuite eu des discussions avec le propriétaire du Kodak Theatre, CIM. Mais c'est Gilles Ste-Croix qui a concrétisé le projet du Cirque en mettant la main sur Decouflé, qui présentait ici à Montréal, il y a cinq ans, son spectacle de danse appelé Solo.

Le créateur français n'était pas un étranger au Cirque du Soleil. Après sa mise en scène des JO d'Albertville, Guy Laliberté a été à sa rencontre pour lui proposer de travailler avec le Cirque. «Ce n'était pas le bon moment, mais nous sommes toujours restés en contact, explique Philippe Decouflé. En 1999, nous avons failli travailler sur un projet, mais ça n'a pas marché. Par contre, j'ai dessiné le théâtre construit à Las Vegas pour le spectacle Zhumanity. Iris était le bon projet, au bon moment.»

Une bande-son originale

Une des premières décisions qu'a prises Decouflé était d'embaucher le compositeur de films Danny Elfmann, qui a notamment signé la musique des films Men in Black de Barry Sonnenfeld, Good Will Hunting et Milk, de Gus Van Sant, Big Fish et Alice in Wonderland de Tim Burton.

«Ça m'a beaucoup rassuré de travailler avec quelqu'un de bien imprégné par le cinéma hollywoodien, dit Decouflé. J'ai adoré mon expérience de travail avec lui. Toute la musique d'Iris est de lui. Il est extrêmement méticuleux, il fait encore de petits ajustements.» La bande sonore du spectacle sera sur disque à l'automne.

Comment le public californien réagira à cette proposition? La direction du Cirque du Soleil nous dit que la salle de 2000 sièges est pleine à plus de 80% depuis la présentation du spectacle il y a deux mois, ce qui augure bien pour la suite. Daniel Lamarre s'était dit confiant lors de la présentation des premiers extraits d'Iris aux médias, en juin, évoquant les 18 millions de gens qui passent devant le Kodak Theatre chaque année.

Tous les espoirs sont donc permis. Il faudra voir, mais on n'a pas l'impression que le Cirque se met le doigt dans l'oeil!

Lisez notre critique d'Iris dans La Presse de lundi.

Photo fournie par le Cirque du Soleil

Iris fera voyager les spectateurs dans le temps, des débuts du cinéma jusqu'aux classiques des grands studios des années 40. Deux personnages servent de fil conducteur: un jeune poète appelé Buster et une femme, Scarlett, créature de ses rêves qui deviendra une vedette hollywoodienne.