À part Le Monde qui, une «fois l'émerveillement passé», a ressenti un «doux ennui devant les voix endeuillées d'Agamemnon», la critique réserve un accueil enthousiaste à la mise en scène de cette tragédie de Sénèque que le Québécois Denis Marleau présente en ce moment à la Comédie française.

Parlant d'un «miracle des voix dans la nuit», l'hebdomadaire culturel Télérama a évoqué cette semaine un spectacle «tout empreint de magie et d'épure, de déchaînement et de mystère, d'innovation technologique et de totale modestie».

Pour incarner le choeur, Marleau a eu recours au dispositif de projection vidéo qu'il avait imaginé au Festival d'Avignon pour Les Aveugles de Maeterlinck. En fond de scène, surgissent d'un immense drapé blanc une quinzaine de masques géants sur lesquels sont projetés les visages des comédiens, «visages sculptés, déformés, fantasmatiques et porteurs d'un bon sens inutile», comme le dit Télérama.

Ces projections sont une grande première:  la vidéo n'avait jamais été utilisée à l'intérieur de la vénérable salle Richelieu de la Comédie française. Le pari n'était pas sans risque. Marleau l'a gagné.

Le Figaro, par exemple, a jugé que le Québécois, tout en dirigeant «strictement les interprètes», déployait «un art stupéfiant de la vidéo». Son dispositif, tout en s'appuyant sur «l'apport essentiel de comédiens (...) dans un état de fureur poétique intense, (renvoie aux) fondements même du théâtre», rappelle le journal.

Le Journal du dimanche applaudit lui-aussi au procédé imaginé par Denis Marleau, qui «fait parler les statues et les murs». « Le choeur qui en sort littéralement, la scansion, la superposition des voix apportent une force dramatique, une présence extraordinaire à sa mise en scène, a estimé le JDD, en soulignant que le Québécois a su redonner à l'auteur romain du premier siècle «l'éclat de son verbe».

En «mariant l'antique et la technologie», Marleau provoque un «électrochoc tragique» et rend à la tragédie de Sénèque son «tranchant originel», renchérit le quotidien économique Les Echos, qui salue une mise en scène «à la fois dépouillée et high-tech».

Dépourvue d'action, Agamemnon est un long cri, une succession de monologues au dénouement sanguinaire, une pièce de la parole, réputée injouable. Le journal Le Monde reconnaît que Denis Marleau, «avec son théâtre d'apparitions et de disparitions (était) l'homme tout indiqué» pour une telle oeuvre.

C'est «très beau», reconnaît le quotidien, Marleau utilise la vidéo de «manière saisissante» et les visages démultipliés des acteurs composent une «polyphonie chuchotée qui parle au plus intime».

Cependant, Le Monde ne cache un «léger sentiment de déception» devant le résultat final, jugeant qu'Agamemnon souffre d'une grosse disparité entre les comédiens de la Comédie française.

«Alors, passé le premier moment d'émerveillement devant la beauté du dispositif, on glisse dans un doux ennui devant ces voix endeuillées, sans que ne se ravive la fascination que l'on éprouve pour ces figures mythiques qui, depuis plus de 2000 ans, survivent, intactes, pour gratter la fine peau de notre (in)humanité», conclut le quotidien.