Ce sont tous des artisans aguerris, chevronnés, qui ne comptent plus les prix et trophées reçus au fil des ans.

Et tous, sans se consulter, ont employé les mêmes mots clés en entrevue pour parler de l'opéra-folk Les filles de Caleb, dont on a déjà vendu plus de 20 000 billets: que ce soit l'éclairagiste Claude Accolas, la costumière Suzanne Harel, la chorégraphe Geneviève Coupal-Dorion ou les scénographes Robert B. Breton et Martin Ferland, ils ont tous parlé de «simplicité», de l'«essentiel», bref de cette histoire sans flafla d'un homme et d'une femme qui tombent amoureux dans le Québec du XIXe siècle, fous de désir, mais incapables de se comprendre...

Simplicité - simplicité volontaire, même - ne veut pas dire que ces Filles de Caleb seront faites de bric et de broc, au contraire. Trois écrans sont intégrés au décor (fait, lui, essentiellement de bois et de fer forgé), où des projections permettront aux spectateurs de passer d'un lieu à un autre, d'une époque à une autre: «On passe d'une chanson de deux minutes, à un moment où les personnages viennent de vieillir de 10 ans, pour ensuite se retrouver dans une église, etc., explique Robert B. Breton, on a donc conçu un décor qui permet aux spectateurs de suivre facilement ces déplacements dans l'espace et le temps de trois générations de femmes, de la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 60.»

«Ces trois écrans, précise son partenaire Martin Ferland, peuvent présenter une image panoramique morcelée en trois ou un triptyque de projections différentes, selon les besoins (les projections sont d'Éric Villeneuve). Mais on reste dans un certain dépouillement, tient à préciser le scénographe, parce qu'on est dans un univers qui est notre terroir, un univers très low tech par définition. Le décor doit servir de toile de fond pour recevoir toutes ces références à une époque, sans pourtant sombrer dans le documentaire!»

La scène est celle privilégiée par le théâtre élisabéthain: un plateau ouvert sur trois côtés, avec une partie surélevée à l'arrière-scène, où entrent et sortent les comédiens et où sont installés les musiciens (les six musiciens, dirigés par Michel Rivard, seront toujours en scène).

«J'ai assisté, il y a quelques semaines, à une première répétition, raconte le concepteur d'éclairages Claude Accolas, dans une salle éclairée uniquement par des fluorescents, avec les artistes qui chantaient sans amplification, accompagnés par un des leurs à la guitare acoustique, et il y avait déjà là un spectacle, une histoire, beaucoup d'émotion aussi... Notre travail, c'est maintenant de les envelopper. On n'est pas un univers virtuel en 3D, on est dans la vie de gens simples qui vivent une histoire d'amour compliquée.»

Bleu, rose, rouge

Grâce à l'album lancé il y a quelques mois, on connaît déjà 15 de la quarantaine de morceaux composés par Michel Rivard pour ces Filles de Caleb, d'abord trilogie romanesque écrite par Arlette Cousture dans les années 80, puis télésérie-culte en 1990 et, dans un peu plus d'un mois, «musical» à nul autre pareil. Car, presque entièrement chanté, c'est bel et bien un «opéra folk»: une histoire dramatique, tragique même, racontée avec la «musique des gens», le folk, littéralement.

«Je voulais que les artistes aient une gestuelle naturelle, explique pour sa part la chorégraphe Geneviève Coupal-Doiron, et qu'on revienne au texte, à l'histoire, avec à peine quelques accessoires: une courtepointe, des valises, quelques bureaux, etc. Et comme il y a beaucoup de valses dans la musique de Michel (Rivard), il y a quelque chose de sensuel et de fluide dans les gestes.» Notons que, dans le plancher du décor sera aussi intégré tout ce qu'il faut pour soutenir la podorythmie, alias «le tapage de pieds», propre à notre musique!

Pour sa part, la conceptrice de costumes Suzanne Harel le reconnaît: on est ici loin des costumes flyés de La petite vie... même si Môman avait un petit côté «mémère Bouchard»!

«Comme on doit passer rapidement d'une époque à l'autre, explique-t-elle, j'ai plutôt fait appel à des accessoires simples, comme un châle, un tablier, qu'on met ou qu'on enlève, pour expliquer le passage du temps. Il y a des choses moins évidentes: par exemple, Luce Dufault (Émilie Bordeleau) doit apprendre à chanter avec un corset et des talons hauts. Et les musiciens vont porter des pantalons comme en 1900, avec des boutons et bretelles! Ça s'enlève pas vite!»

«Pour le personnage d'Émilie, reprend-elle, je savais par le roman qu'elle aimait les robes bleues - elle se fait elle-même sa robe de mariage bleue -, c'est donc dans ces couleurs que j'ai travaillé. Mais pour Stéphanie, qui joue Blanche, je suis partie de Stéphanie elle-même, qui est quelqu'un de très doux. Elle est plutôt en rose au début, et va peu à peu porter des couleurs plus rouges, comme le fait Ovila son père (campé par Daniel Boucher).»

Entreprises en janvier à Radio-Canada, les répétitions vont bon train et se déroulent maintenant rue Parthenais, dans les décors, sous la gouverne du metteur en scène Yvon Bilodeau.

«Moi, conclut Claude Accolas, à partir de ce que j'ai vu, je compare ça aux films de la série Millenium: ceux qui avaient lu les livres y retrouvaient les personnages assez près de ce qu'ils s'étaient imaginés, et ceux qui ne les avaient pas lus n'étaient pas perdus. Je pense que ça va être un peu la même chose: ceux qui ont aimé les livres ou la série des Filles de Caleb vont y trouver leur compte, et ceux qui ne les connaissent pas aussi.»

Les Filles de Caleb au Théâtre St-Denis (à compter du 13 avril), au Théâtre du Palais Municipal du Saguenay (à partir du 3 juin), au Centre Culturel de Sherbrooke à partir du 25 juin, au CNA d'Ottawa à partir du 6 juillet, au Grand-Théâtre de Québec à partir du 13 juillet et au Centre des Arts de Shawinigan à partir du 24 août). Infos: lesfillesdecaleb.com