La comédienne et metteure en scène Julie Vincent incarnera seule sur scène le mystérieux personnage de Jocaste, mère d'OEdipe, dans une libre adaptation de la pièce de Sophocle (OEdipe roi), signée par l'Uruguayenne Mariana Percovich.

Les voyages de Julie Vincent en Uruguay auront été fructueux. Après avoir créé Le portier de la gare Windsor, inspirée de sa rencontre (à Montréal) avec l'architecte uruguayen, Francisco Antonino, Julie Vincent a multiplié les séjours à Montevideo, la capitale, et à Buenos Aires, en Argentine, où la pièce a d'ailleurs été jouée l'été dernier.

C'est lors de la présentation de sa pièce La robe de mariée de Gisèle Schmidt, à Montevideo (en 2008), qu'elle a rencontré, par hasard, Mariana Percovich, qui répétait dans le même théâtre. La dramaturge uruguayenne, responsable du département des arts scéniques de la capitale uruguayenne, lui a fait lire sa pièce Jocaste, écrite en 2002.

Julie Vincent s'est vite intéressée à l'oeuvre de cette femme qui revendique, un peu comme elle, un «théâtre indépendant» et une «esthétique personnelle». Son projet d'adaptation du célèbre mythe d'OEdipe tient en 13 pages. Son objectif: donner la parole à un personnage central dont on ne sait pratiquement rien: la mère d'OEdipe.

On se rappelle les grandes lignes de la pièce de Sophocle rendue célèbre par l'intérêt de Sigmund Freud. Le roi OEdipe est aux prises avec une épidémie de peste, qui ravage son royaume de Thèbes. La cause de cette malédiction: le meurtre non puni de son prédécesseur, le roi Laïos.

Le point de vue de Jocaste

Mais voilà qu'en enquêtant sur l'affaire, OEdipe se rend compte qu'il est coupable de parricide et d'inceste, puisqu'il est l'assassin de Laïos (son père) et qu'il a épousé sa mère, Jocaste. La tragédie se termine comme il se doit: Jocaste se pend et OEdipe se crève les yeux avant de quitter son royaume.

Mariana Percovich s'est intéressée à tout ce que le mythe raconte en amont. Mais toujours du point de vue de Jocaste. Son mariage avec Laïos (qui aimait les garçons); la malédiction qui le frappa après qu'il eut enlevé Chrysippe, qu'il prit pour amant; l'oracle qui le prévint que son fils (OEdipe) allait le tuer pour le punir; enfin, la mort de Laïos et sa rencontre avec OEdipe, avec qui elle eut quatre enfants.

«Pendant 20 ans, Jocaste et OEdipe ont vécu heureux, sans savoir qu'ils étaient mère et fils, nous dit Julie Vincent. Au fond, ils étaient humains avant d'être incestueux. Le temps de cet amour, il y a une abolition du fossé entre l'homme et la femme. Ce mythe nous permet de vivre cette absence de fossé. Comme s'ils étaient irrémédiablement voués l'un à l'autre par le cercle de la fécondité.»

Plusieurs interprétations

Comme pour tous les projets menés par sa compagnie Singulier pluriel, Julie Vincent a multiplié les recherches et les rencontres de travail pour trouver le bon ton, la bonne mesure. Pour faire ce travail d'analyse, elle s'est tournée vers son ami et collègue André Brassard.

«André a été mon professeur, il m'a dirigée à plusieurs reprises et nous avons longtemps travaillé ensemble à l'École nationale de théâtre. Je suis vraiment une fille de Brassard, nous dit Julie Vincent. Ensemble, on s'est posé des questions. Qui étaient les adversaires de Jocaste? Est-ce qu'elle s'est suicidée elle-même ou si elle y a été forcée? Pouvait-elle savoir qu'OEdipe était son fils?»

Il y en a en effet plusieurs interprétations possibles. Julie Vincent voulait que le doute subsiste, qu'il y ait une part de mystère. Dans son travail de recherche, elle a aussi voulu explorer le désir de la femme qui vieillit pour l'homme plus jeune. «Mais le plus important, dit la comédienne, c'est que le mythe nous permet de ne pas refouler la rencontre amoureuse entre la mère et le fils.»

La pièce est divisée en 11 fragments, qui correspondent à 11 temps de vie. Avec des choeurs empruntés à Eschyle (Les 7 contre Thèbes). «Ces fragments ne sont pas nécessairement assemblés par ordre chronologique. Il y a des retours dans le temps, c'est une structure non linéaire», précise Julie Vincent, qui est le fantôme de Jocaste et la narratrice de ce conte.

«On a peu d'informations sur Jocaste, conclut-elle. Elle n'a pas eu de mère. Elle était dans la lignée de Dionysos, elle était donc qualifiée pour le plaisir. On apprend qu'elle était dédiée à la déesse de la fécondité, Estia. Elle faisait donc partie de ces jeunes filles qui restaient vierges pour alimenter le feu du foyer! Mais elle est coincée puisque son mari aime les garçons...» C'est ce destin et cette parole de femme qu'on nous propose.

Jocaste, à l'Espace libre du 24 février au 12 mars.