Gregory Hlady a réuni sa petite famille théâtrale, avec Paul Ahmarani, Denis Gravereaux et Frédéric Lavallée en tête, pour revisiter une des premières pièces de Bertolt Brecht: La noce chez les petits bourgeois. Une courte forme à mi-chemin entre la tragédie et la farce écrite alors qu'il avait à peine 20 ans.

Gregory Hlady s'est longtemps tenu à l'écart de l'oeuvre du dramaturge allemand, qu'il croyait être un apôtre de Staline. Ayant lui-même subi les dérives du marxisme en Ukraine, son pays d'origine, il n'avait nulle envie de frayer avec l'un de ses défenseurs.

Ça, c'était avant de s'intéresser à la vie et à l'oeuvre de Brecht, qu'il qualifie aujourd'hui de vrai rebelle et d'anticonformiste, qui a refusé de s'établir en Russie, bien qu'il ait été un militant socialiste notoire. «Je me suis demandé pourquoi Brecht avait écrit cette pièce.»

«C'est une pièce multidimensionnelle où il y a beaucoup de non-dits et de pulsions cachées, détaille Gregory Hlady. En approfondissant le texte, on parvient à les identifier. Ça nous rappelle aussi l'absurdité d'Harold Pinter ou de Samuel Beckett, deux auteurs que j'aime beaucoup.»

Paul Ahmarani, que Gregory Hlady a dirigé dans Coeur de chien il y a deux ans, a une complicité évidente avec son metteur en scène. «Avec Gregory, on est dans un univers qui relève du symbole, du rêve, de l'onirique. Il travaille beaucoup sur ces pulsions de l'inconscient, à la manière des surréalistes», confie le comédien.

Le metteur en scène admet quand même avoir été découragé au début du projet. La proposition de Brecht, qui met en scène huit personnages assis autour d'une table pour y célébrer la noce d'un jeune couple bourgeois, est quand même mince. On y décrit un repas de noces, ponctué de remarques parfois cinglantes, parfois insignifiantes, qui se termine par le départ précipité des convives anonymes.

«Au début, je ne savais pas trop quoi en faire. J'ai privilégié l'approche du miroir brisé en morceaux, nous dit le metteur en scène, qui a divisé la pièce en une trentaine de tableaux. C'est comme une mosaïque où l'on s'attarde à chacun des morceaux. Ça nous a donné la liberté de les interpréter individuellement. En fait, ça ressemble beaucoup à une composition musicale.»

«Avec Gregory, explique Paul Ahmarani, on a cherché le sous-texte, et on l'a joué. Ce qui fait que toute la représentation est assez surréaliste.» Son personnage, un ami du marié, est au coeur de cette déconstruction de Brecht. «C'est lui qui révèle aux autres personnages leurs pulsions obscures, leurs désirs inconscients. C'est un peu le démon», précise le comédien.

Le jeu des comédiens est volontairement caricatural, prévient Paul Ahmarani. «On ne joue pas dans la retenue bourgeoise, réaliste, ce qui aurait été assez plate. On l'a tordu, Brecht. Mon personnage est un peu le Méphisto qui va révéler les autres dans leurs désirs de violence, de débauche, de sexe. Il ne faut pas oublier que c'est la montée du nazisme, il y a une volonté de domination, une promesse de liberté totale....»

On dit que Brecht s'est inspiré des numéros clownesques de Karl Valentin pour écrire La noce (en 1919). Les personnages ont en effet tous un petit côté guignol où l'auteur se paie leur tête de «petits bourgeois», mais Gregory Hlady ne voulait pas en faire une comédie bouffonne. «Oui, c'est drôle, mais ce n'était pas suffisant. C'est vraiment en lisant entre les lignes qu'on apprécie sa critique sociale.»

Gregory Hlady a confié la scénographie à un collègue de longue date, Vladimir Kovalchuk. Ensemble, ils ont créé un décor fidèle au récit de Brecht - avec ses tables et ses chaises mal construites par le marié. En jouxtant des scènes qui se déroulent en même temps, en passant aussi des répliques en boucle.

Lorsque Teo Spychalski (directeur artistique du Groupe La Veillée à l'époque) lui a proposé de travailler sur ce projet, Gregory Hlady admet avoir hésité. Il se souvient de ces mots de Teo: «S'il y a une personne qui peut monter cette pièce, c'est toi!» Après avoir imprimé sa signature, Gregory Hlady tend à croire qu'il avait peut-être raison.

La noce, au Prospero du 22 février au 19 mars.