La robe de Gulnara est un projet bien luné: primée avant même sa création sur scène, la pièce d'Isabelle Hubert a remporté le Prix de la critique, section Québec, la semaine dernière. Un hasard qui tombe à point puisque la production s'installe justement à Espace Go.

La création fait parfois bon ménage avec la contrainte. La robe de Gulnara, pièce qui est en train de changer la trajectoire d'écriture de la dramaturge Isabelle Hubert, était à l'origine une oeuvre de commande. Sur un sujet imposé: la situation de réfugiés installés dans des wagons désaffectés à la frontière de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan.

Secoué par un reportage portant sur ces gens et les images du photographe Tim Georgeson, le dramaturge Robert Claing a en effet convié des auteurs à créer une pièce de 10 minutes parlant cette tragédie humaine. Il en a tiré Yanardah, un collectif mis en lecture à Montréal en 2001. Trois ans plus tard, lorsque l'événement a été repris au Carrefour international de théâtre, Isabelle Hubert, dramaturge qui vit à Québec, a été invitée à se joindre au groupe.

«C'était très loin des sujets que j'aborde habituellement», dit la dramaturge. Jusque-là, elle s'était surtout affairé à parler du Québec contemporain - le «ici et maintenant». «Depuis que j'écris, je suis habitée par la crainte de parler à travers mon chapeau, avoue-t-elle. Je n'avais jamais osé me lancer dans une pièce historique ou qui parlait d'ailleurs.»

Elle a plongé. Plus pour l'exercice qu'autre chose. Elle jugeait la proposition «sans conséquence». Son texte a d'ailleurs été lu par un bel après-midi de mai 2004... devant un auditoire clairsemé. Mais il lui a tout de suite valu de bons commentaires. «Ça a été un moment déterminant», reconnaît-elle.

Un angle humain

N'ayant ni le temps ni l'envie de devenir spécialiste du complexe conflit ethnique et territorial qui envenime toujours les relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, la dramaturge a d'emblée cherché un angle humain. «Quelque chose qui aurait pu se passer au Québec», précise-t-elle.

Parmi les photos de Tim Georgeson, il y en avait une qui représentait un mariage, celui de Gulnara et Arif. Détail qui a marqué l'auteure: la jeune femme portait une robe d'une blancheur improbable pour des gens vivant dans ces conditions impossibles. Isabelle Hubert a alors imaginé une histoire toute simple: Mika, 13 ans, qui tache la robe de mariée immaculée de sa soeur aînée, Gulnara, à la veille des épousailles.

Inséré dans le grand drame de la déportation et de l'extrême pauvreté, ce petit drame a permis à l'auteure de créer une série de tableaux qui représentent, selon elle, «différentes façons de réagir à cette misère-là». Le drame est toutefois mis à distance par un décalage temporel: l'histoire est racontée par le fils de Mika, qui retourne au camp de réfugiés 30 ans après l'incident.

«La réalité est tellement dure que je n'avais pas envie d'en faire quelque chose de dur», précise la dramaturge. Elle l'a donc abordée à la manière d'un conte, ce qui lui a permis d'ajouter une touche de romantisme dans cet univers somme toute assez cruel. Le metteur en scène, Jean-Sébastien Ouellette, a profité de cette ouverture pour mêler réalisme et onirisme.

La robe de Gulnara, qui est porté sur scène par huit comédiens, dont Jack Robitaille, Sasha Samar et Marilyn Perreault, a profondément bousculé l'écriture d'Isabelle Hubert. Elle n'hésite plus à écrire sur des drames lointains (une pièce sur les Latino-Américains qui tentent d'émigrer aux États-Unis) sans délaisser le Québec (une autre intitulée Laurier-Station). «Aucun endroit au monde n'est épargné par la haine et l'amour», dit-elle.

Elle se réjouit maintenant d'être considérée comme une auteure qui parle de choses difficiles et qui peut parfois attirer l'attention des gens sur des drames invisibles. «Il est possible que le théâtre s'éloigne du divertissement, constate-t-elle. Même si j'en écris aussi, du divertissement.»

La robe de Gulnara, du 30 novembre au 11 décembre à Espace Go.