Pendant qu'on s'interroge sur le statut de «métropole culturelle» de Montréal et que les travaux du Quartier des spectacles font les manchettes la chronique, les nombreuses salles de spectacle hors de Montréal, elles, attirent un nombre grandissant de spectateurs, particulièrement pour les spectacles francophones. Portrait d'une tendance qui change la donne.

Il y a quelques jours, Martin Petit était en spectacle à l'Étoile Quartier DIX30, la salle de Brossard ouverte en avril 2008. L'humoriste a demandé aux spectateurs qui venaient de Brossard et des environs d'applaudir. Il y a eu beaucoup d'applaudissements, évidemment. Y a-t-il aussi des gens de Laval? Surprise: il y a eu pas mal d'applaudissements. Oui, mais est-ce qu'il y a des gens de Montréal dans la salle, a lancé Petit. Re-surprise: l'ovation était quasi aussi importante que celle donnée par les résidents de Brossard.

Les travaux actuels sur les ponts et au centre-ville de Montréal expliquent peut-être en partie la désaffection de ces spectateurs pour leur ville. Mais cette anecdote illustre tout de même une réalité: dans la grande région métropolitaine, de plus en plus de gens choisissent d'aller voir un spectacle d'humour ou de chanson en dehors de l'île.

Les journalistes culturels peuvent en témoigner: bien souvent, Montréal figure au nombre des arrêts d'une tournée, mais le concept de «rentrée montréalaise» est moins fréquent et moins important. C'est en dehors de la métropole qu'on donne les spectacles à guichets fermés et qu'on multiplie les supplémentaires.

Jean-François Renaud est tourneur et agent de spectacles: son agence, Concertium, voit aux tournées de nombreux humoristes et chanteurs. Depuis quelques années, le jeune agent constate que les salles de banlieue prennent de l'importance. C'est d'ailleurs en banlieue que ses clients donnent la majorité de leurs spectacles. Il y a quelques années, ils auraient été à Montréal plusieurs soirs avant de partir en tournée.

«Actuellement, une majorité de salles du Québec offrent de meilleures conditions que la plupart des salles de Montréal. Elles ont été rénovées, et elles sont toutes très bien équipées, climatisées et confortables», explique-t-il.

«Les jeunes professionnels de 30, 40 ans s'installent en banlieue depuis quelques années, reprend-il. S'ils veulent aller voir un spectacle, ils peuvent souper chez eux, engager une gardienne pour les enfants, rouler sans se taper le trafic, stationner l'auto gratuitement, voir le show et être de retour à la maison à 23 h! Comment est-ce que Montréal peut concurrencer ça? Pourquoi iraient-ils voir le spectacle en ville? Montréal a la réputation d'être difficilement accessible (à cause des travaux et la difficulté de stationner) et chère (il faut payer le resto, la gardienne, le stationnement).»

«C'est particulièrement vrai des spectacles d'humour», confirme Jacques K. Primeau, des Productions JKP. «Je suis un ardent défenseur de Montréal et du Quartier des spectacles, mais comme agent de Jean-Thomas Jobin, par exemple, je suis content que les gens aillent le voir à Laval ou à L'Assomption. Ils ne se seraient peut-être pas déplacés pour le voir à Montréal, dans les conditions actuelles.» S'il est difficile de chiffrer cette tendance, tous nos interviewés le confirment : la métropole n'a plus le monopole en matière de spectacles d'artistes québécois francophones. C'est surtout pour générer des retombées médiatiques - entendre par là les critiques - qu'un producteur décide de présenter un spectacle à Montréal, histoire de vendre des billets... dans les salles hors de Montréal.

Aller là où ils sont

S'il fallait résumer la chose, disons qu'il y a encore 10 ans, les artistes s'installaient dans une salle montréalaise et les spectateurs venaient à eux. Aujourd'hui, ce sont les artistes qui vont là où les spectateurs sont. De l'autre côté des ponts...

Les propos de Claude Larivée, président de l'ADISQ et propriétaire des salles montréalaises La Tulipe et Le National, et de L'Étoile Quartier DIX30, à Brossard, vont dans ce sens: «Lorsqu'on analyse les résultats de la billetterie de l'Étoile, un grand nombre de spectateurs nous disent qu'ils n'allaient tout simplement pas voir de spectacles avant. Ce sont donc de nouveaux clients, qui fréquentent des salles près de chez eux. L'Étoile répondait à un besoin criant, parce qu'il y a un boum démographique à Brossard et dans les environs. Quand nous avons ouvert en 2008, nous avons aussi utilisé de nouveaux moyens de mise en marché et de promotion. Nous avons construit notre programmation autrement qu'à Montréal, en nous inspirant pour cela du boulot fantastique fait par les gens qui s'occupent des salles à Saint-Jean, L'Assomption, Longueuil, Laval, Terrebonne, etc.»

Hors de Montréal, le salut?

En effet, au fil des ans, les responsables des salles de banlieue ont travaillé d'arrache-pied pour bâtir leur programmation et développer leur marché, tout en rénovant leurs salles.

C'est le cas, notamment, de Marcel Alexander, directeur général de la Corporation de la salle André-Mathieu à Laval et président de Diffusion Inter-Centres, qui regroupe une douzaine de salles québécoises de plus de 700 sièges: «En 2001, on a décidé, au moment des rénovations, qu'André-Mathieu deviendrait une salle de qualité comparable à celles de Montréal, qu'elle serait même une des plus grandes salles de la région montréalaise. On a alors fait des sondages pour savoir qu'est-ce qui déterminait le lieu où les gens allaient voir un spectacle. Était-ce le prix du billet, l'équipement de la salle, la soirée? La réponse était toujours la même: la proximité. Et je dirais, plus largement, le confort: confort pour se rendre au spectacle, confort pour regarder le spectacle.»

La grande majorité des propriétaires de salles situées en dehors de Montréal ont emboîté le pas les uns après les autres: fini les salles non climatisées, sans loges et qui ressemblaient à des auditoriums d'école. Au fil des ans, ils ont souvent ajouté une seconde salle, plus petite mais bien équipée, avec une centaine de fauteuils, pour accueillir des spectacles plus intimes. Et ils essaient aussi, de plus en plus, de présenter rapidement les artistes les plus populaires: les spectateurs ne veulent plus attendre un an et demi pour voir Isabelle Boulay ou Rachid Badouri dans une salle près de chez eux. Plusieurs des grandes salles du Québec offrent aussi à leurs abonnés d'acheter des billets en priorité ou à moindre coût. Une salle comme le Centre des arts Juliette-Lassonde, à Saint-Hyacinthe, permet même de sélectionner la largeur de son siège, alors que le Théâtre du Vieux-Terrebonne a décidé de baisser la hauteur des dossiers de ses fauteuils: selon des études, cela permet aux spectateurs de mieux voir les réactions de leurs voisins et donc de réagir plus vivement!

On peut s'étonner devant ces décisions, mais il n'en demeure pas moins que le spectacle est désormais en concurrence avec le divertissement chez soi, dans le confort de son foyer. Il faut donc offrir plus pour le même prix à celui qui se déplace pour aller voir un artiste.

«La disponibilité des gens a changé, confirme Jean-François Renaud. Montréal continue à attirer pour des événements, que ce soit la venue de Madonna, le Festival de jazz ou le Cirque du Soleil. Mais c'est beaucoup moins vrai qu'avant quand il s'agit du spectacle d'un artiste québécois francophone... ou anglophone.»

On l'a effectivement constaté ces derniers temps: même les groupes anglophones cool sont plus présents en dehors de Montréal. Grâce, par exemple, à des projets comme Scène1425.com, mis sur pied en 2008 par la Corporation de la salle André-Mathieu de Laval: toute une programmation à l'intention des 14 à 25 ans, offerte à des prix défiant toute concurrence. Que ce soit les Vulgaires Machins ou Random Recipe.

«On a réalisé qu'il y avait environ 47 000 jeunes de 14 à 25 ans à Laval et que rien ne leur était offert en matière de spectacles», explique Marcel Alexander, de la Corporation. «Ça représentait donc quelque 250 000 sorties de jeunes Lavallois en dehors de Laval.» La Corporation a donc créé Scène1425.com, qui va présenter Plants and Animals, puis La descente du coude et We Are Wolves! «Les parents nous appelaient pour savoir si c'était vrai, se souvient M. Alexander. Quand on leur répondait oui, ils laissaient leurs ados venir. En plus, comme notre objectif n'est pas de vendre de l'alcool, mais des spectacles, contrairement à un bar, ça les rassurait encore plus.»

Montréal ou hors Montréal?

Devant cette transformation de l'offre de spectacles, Montréal peut-elle continuer à séduire? Verra-t-on de plus en plus les spectacles tourner autour de la métropole sans y entrer vraiment ou à peine? Est-ce que Montréal est condamné à ne présenter que de gros «shows»?

«Je suis un peu inquiet pour le spectacle de chanson francophone, répond Jacques Primeau, des Productions JKP. Il y a à Montréal une scène anglophone qui attire vraiment le public, à laquelle il faut ajouter les spectacles événementiels, de type Madonna, mais ils sont souvent en anglais. Je crois qu'il faut être vigilant.»

«De notre côté, on croit encore à la récurrence d'un spectacle pour attirer les gens, répond le président de l'ADISQ, Claude Larivée. Si tu veux que les gens viennent, il faut que le show soit là. À la belle époque du Spectrum où Marjo jouait je ne sais combien de soirs, c'était simple: si tu voulais voir Marjo, t'allais au Spectrum. Comme Montréal est une ville à forte densité, il faut faire des efforts pour attirer les spectateurs montréalais dans les salles, être plus imaginatifs: l'air de rien, Dumas a joué une cinquantaine de fois au National de Montréal. À mon avis, certains producteurs baissent les bras trop vite quand il est question du marché montréalais.»