Sortie il y a trois ans d'une école de théâtre, Sophie Desmarais connaît un début de carrière enviable. Elle a tourné plusieurs films et a notamment joué deux rôles de «jeune première» chez Molière et Shakespeare l'an dernier. L'actrice, qui défendra sous peu un premier rôle chez Prospero, a remporté lundi le Prix de la relève Olivier Reichenbach.

«Ce n'est pas une pièce sombre», précise Sophie Desmarais, en sortant d'un café du Vieux-Montréal. Pendant près d'une heure, la jeune actrice a relaté son parcours et surtout disséqué le personnage qu'elle jouera bientôt dans Norway.Today, au Théâtre Prospero. Elle a abondamment parlé de l'apathie de cette Juliette, de sa cruauté et de son envie d'en finir. Puis, comme si elle craignait soudain d'avoir donné une image tronquée de la pièce du dramaturge Igor Bauersima, la comédienne assure qu'elle porte aussi une part de lumière.

Le désir d'évoquer les choses avec justesse est très présent chez cette actrice d'abord remarquée à La Petite Licorne dans Qu'est-ce qui reste de Marie Stella? Sophie Desmarais y campait une jeune ado hypersexuée, qui cachait sa vulnérabilité derrière une attitude frondeuse. «Ce n'était pas loin de la caricature, mais je ne voulais pas en faire quelque chose de caricatural», dit-elle.

Pour s'assurer de la crédibilité de sa composition, elle a fait valider son jeu par d'anciens professeurs de théâtre qui s'étaient déplacés pour voir la pièce. En entrevue, ce souci de la précision se traduit par un débit mesuré, marqué par des silences pendant lesquels la comédienne semble plonger à l'intérieur d'elle-même pour mieux cerner sa pensée ou l'émotion qu'elle cherche à expliciter.

Sophie Desmarais, qui émaille son discours de références à la psychanalyse ou à des concepts philosophiques - Facebook, pour elle, c'est le «culte de l'altérité» - peut donner l'impression d'être plutôt cérébrale. «Non, au contraire, assure-t-elle. J'aborde les choses de manière beaucoup plus instinctive.»

D'instinct

Sa décision de devenir comédienne ne vient pas de la tête, mais du coeur. Elle a simplement eu le coup de foudre pour le théâtre à l'école secondaire. Comme elle fréquentait une école pour filles uniquement, elle a hérité du rôle de Dom Juan, l'impénitent séducteur de Molière. Son visage s'éclaire à l'évocation de ce souvenir: «J'ai adoré le costume, le fait d'avoir une épée et de porter cette parole-là!»

Or, bien que déterminée à se consacrer à l'art dramatique, elle a pris un risque énorme: alors que les aspirants comédiens se présentent souvent en audition dans toutes les écoles de théâtre, elle n'a posé sa candidature qu'au collège Lionel-Groulx. Où elle a été acceptée du premier coup. «Je voulais juste jouer des textes avec du monde le fun», dit-elle, laissant entendre qu'elle n'avait pas mesuré l'enjeu.

La chance ne l'a pas quittée. Deux mois après avoir obtenu son diplôme, en 2007, elle a décroché un rôle dans Le grand départ de Claude Meunier. Sophie Desmarais n'a pas cessé de travailler depuis. Elle a tourné avec Sophie Lorain (Les grandes chaleurs), Denis Côté (Curling) et Benoît Pilon (Décharge) et joué quelques rôles sur de grandes scènes.

La saison dernière, elle a notamment interprété les charmantes Marianne (dans L'avare, de Molière) et Héro (dans Beaucoup de bruit pour rien, de Shakespeare). «C'était mon année de jeune première», s'amuse la jolie brune, à qui un jury professionnel a décerné lundi le Prix de la relève Olivier Reichenbach pour son jeu dans la comédie de Shakespeare dirigée par René Richard Cyr.

«C'est dur d'aborder des personnages comme ceux-là. Ça peut être des rôles assez beiges, observe la comédienne, ravie de l'honneur qui lui a été fait. Il ne sont pas écrits pour êtres colorés, alors il faut trouver la justesse là-dedans, ne pas avoir l'air d'une marionnette.»

@ la vie, @ la mort...

Avec Norway.Today, elle aura l'occasion d'aborder une tout autre facette du jeu. Juliette, jeune adulte incarnée par Sophie Desmarais, annonce dès le début son envie de mourir. «Je vais bientôt me suicider», écrit-elle, sur un site de clavardage. Elle ne veut toutefois pas partir seule et lance une invitation à laquelle répond Auguste (Jonathan Morier, découvert dans Rouge gueule).

Le pacte de suicide tiendra-t-il le coup à leur rencontre face à face? C'est ce qu'on verra. Pour aborder ce rôle, la comédienne dit avoir beaucoup réfléchi à la façon dont on construit son identité sur l'internet. «Est-ce qu'on est plus soi-même parce qu'il n'y a pas le contact du corps? Est-ce que ça permet de dire des choses qui nous parlent pour vrai? Est-ce qu'on est dans le fantasme de qui on voudrait être?» se demande-t-elle.

Norway.Today s'appuie bien sûr sur ce sentiment d'étrangeté au monde qui est très commun à l'adolescence et au début de l'âge adulte. La particularité de la pièce est de glisser dans l'équation les nouveaux moyens de communication. La quête d'authenticité est-elle facilitée ou complexifiée par les réseaux sociaux?

«Dès la première lecture, il était clair pour moi que je ne voulais pas faire de Juliette une fille fuckée, une marginale qui veut se tuer», dit son interprète. Juliette serait plutôt une fille de son temps, qui se met en scène sur Facebook comme tout le monde, prenant des poses «comme dans les pubs d'American Apparel», choisit ses amis et soigne ses «statuts». «Elle est détachée, elle ne ressent plus rien et ça, je trouve ça terriblement troublant.»

L'exploration du vrai et du faux à laquelle s'adonne Norway.Today (mis en scène par Philippe Cyr) trouve un écho dans le travail des acteurs: n'est-ce pas l'authenticité qu'ils cherchent à trouver au moyen du jeu? «On en parle aussi dans la pièce», dit Sophie Desmarais, qui estime qu'il faut être en quête pour être actrice.

«C'est spécial de travailler dans une forme d'art où on est son propre médium. Inévitablement, on joue avec ses propres affaires, ses zones d'ombre et de lumière, précise-t-elle. Il y a une envie de mieux comprendre la nature humaine dans ce métier-là. La sienne, surtout.»

Norway.Today, à compter du 21 septembre au Théâtre Prospero.