La compagnie de théâtre Ondinnok profite de la tenue du festival Présence autochtone pour présenter un spectacle autour de Rabinal Achi, vestige de la dramaturgie précolombienne conservé depuis des siècles par des Mayas du Guatemala. Pour le metteur en scène Yves Sioui Durand, c'est une occasion de «reconstruire la culture autochtone en Amérique».

José Leon Coloch Garniga est un homme de 75 ans originaire de San Pablo Rabinal, au Guatemala. Il est surtout le fier légataire de la tradition du Rabinal Achi, rituel théâtral maya vieux de plusieurs siècles ans et transmis par des habitants de son village. Et c'est entre autres grâce à lui que l'oeuvre est désormais classée patrimoine immatériel de l'humanité par l'UNESCO.

 

«La transmission se fait de père en fils depuis des générations, avant l'arrivée des Espagnols, explique-t-il, en marge d'une répétition. Elle se fait à travers la famille et parfois aussi par des personnes à l'extérieur de la famille, pare que la vie change et il arrive que cet héritage suscite moins d'intérêt chez les jeunes.»

José Leon Coloch Garniga n'a pas de souci à se faire sur ce plan. Son fils José Manuel, qui l'accompagne à Montréal, est visiblement heureux d'assurer sa succession. Il se désole d'ailleurs du désintérêt de la jeunesse pour la langue et la culture mayas. «On est aliénés par les influences étrangères, qu'elles soient espagnoles ou occidentales», dit-il.

Rituel guerrier

Rabinal Achi est d'abord un rituel guerrier. La cérémonie relate la capture, le procès et la mise à mort d'un seigneur de la guerre rebelle. «Tous les grands spécialistes s'entendent pour dire que ce texte remonte à l'époque classique maya, c'est-à-dire à 900 av. J-C. Avant la tragédie grecque, fait remarquer Yves Sioui Durand, cofondateur avec Catherine Joncas de la compagnie Ondinnok.

«Le théâtre maya se jouait à la cour, devant les gouverneurs et les chefs militaires, poursuit le metteur en scène. On faisait rejouer au captif son propre rôle au cours d'un festin. On lui faisait boire des boissons enivrantes et hallucinogènes et on le mettait à mort.»

Rabinal Achi serait la preuve qu'il y a toujours eu du théâtre dans les Amériques. «On a toujours affirmé que le théâtre amérindien n'existait pas et que ce sont les Européens qui ont amené le théâtre en Amérique. Là, on a la preuve vivante que c'est faux, puisqu'il s'agit d'un théâtre d'argument avec des protagonistes et des dialogues. C'est fondamental.»

Pont transculturel

Xajoj Tun, dans sa version présentée à eXcentris, ne reprendra pas l'intégralité du Rabinal Achi. Sa part essentielle sera en effet mêlée à des éléments tirés de deux autres anciens textes mayas: Popol Vuh (qui parle des mythes de la civilisation maya) et Chilam Balam (un récit divinatoire).

Pour interpréter ce théâtre dansé qui fait également appel au jeu masqué, Yves Sioui Durand a rassemblé une distribution d'une dizaine d'acteurs et danseurs dont les racines autochtones s'étendent à travers le continent. Des descendants des Incas, comme la chorégraphe Patricia Iraola, ou des Premières Nations du Canada, comme Marco Collin.

«C'est un grand pont transculturel», estime le metteur en scène, qui qualifie «d'honneur incroyable» la possibilité de recevoir à Montréal les légataires de ce très ancien spectacle. Pour lui, José Leon Coloch Garniga et son fils ne sont rien de moins que des «résistants culturels» dont l'engagement et l'ouverture d'esprit ont favorisé la diffusion de Rabinal Achi.

C'est en effet en collaboration avec eux que le Français Alain Breton a transcrit et traduit ce texte. Dans la foulée, les autorités guatémaltèques ont elles aussi pris conscience de l'importance de l'oeuvre et, de concert avec les légataires officiels, créé un document qui est maintenant distribué dans les écoles.

«Ces paroles-là, c'est un privilège de les entendre dans la modernité dans laquelle on vit, juge Yves Sioui Durand. On ne peut pas être humain sans savoir d'où on vient. Les paroles du Rabinal Achi appartiennent à l'humanité, au sens qu'elles fondent notre humanité et son histoire.»

Xajoj Tun Rabinal Achi est présenté jusqu'au 27 juin, à eXcentris, dans le cadre Présence autochtone.