Quand ça commence mal, c'est que tout va bien au Cabaret insupportable. Pour cette troisième et dernière mouture de la bande de Transthéâtre qui a créé ce concept masochiste, repris à la demande générale, le public était accueilli par une fouille en règle digne des aéroports, pendant que dans la salle tournait en boucle Fais-moi la tendresse de Ginette Reno. De quoi rendre fou avant même que le spectacle commence.

«Efficacité, rigueur et propreté», telles étaient les exigences de ce Cabaret insupportable déclinées par son animateur, Jacques L'Heureux, qui nous invitait à utiliser le Purell mis à notre disposition sur les tables. Une bonne façon de se laver les mains des multiples commanditaires et organismes qui se sont imposés toute la soirée entre les numéros et même pendant les numéros. Et des commentaires des deux juges (Michel Monty et François Patenaude) qui avaient la tâche de «mettre en danger» tous les participants, selon des critères qu'eux seuls comprenaient.

Le tout a commencé avec l'interprétation pénible de la chanson Le téléphone pleure de Claude François, par Chéli, une enfant-vedette accompagnée de son père malade qui voulait réaliser son rêve de monter sur scène. Conseil du juge: «Ton père a l'air trop loser, il pourrait nuire à ta carrière.»

Un «jeune» de 29 ans a suivi - on est jeune jusqu'à 35 ans selon les programmes pour jeunes -, réalisateur d'un clip pour le programme Pimp ta vie, trop content de rencontrer Passe-Montagne. Mais vraiment trop, genre... La vie allait devenir un leitmotiv avec Enrica Boucher et Martine Francke, coanimatrices de l'émission pour femmes Option sur la vie, remplie de conseils «pertinents», notamment sur l'hygiène-des-parties-intimes-de-la-femme-active. «On est tellement chanceuses, nous, les femmes, d'avoir autant de ressources», s'est extasiée Enrica Boucher.

J'ai moi-même vécu l'insupportable dans ma chair en acceptant de monter sur scène pour une initiation rapide à la méthode de Stanislavski par Guillermina Kerwin, qui a travaillé mon subconscient, ce qui m'a valu un certificat authentifiant mes capacités à pouvoir jouer dans la série Trauma - du moins, la suite.

Une soirée pleine de ressources, en effet. Élisabeth Sirois nous a donné des outils pour «mieux vivre et vivre mieux» en couple; une jeune femme, agressée par son père, s'est tournée vers la poésie pour s'en sortir et a créé le programme Évasion à la prison de Bordeaux pour introduire un peu de poésie dans la vie des criminels. L'un d'eux, particulièrement inspiré et libéré pour l'occasion, a pu nous dire «j'ai un petit trésor, dans le coffre de mon char», avant de prendre inexplicablement la fuite. Le chanteur Vincent Vallières, invité spécial, a présenté une chanson qui se veut un hymne québécois pour la prochaine catastrophe naturelle dont il espère devenir le porte-parole. Deux danseurs (Brigitte Poupart et David Michael), venus présenter des extraits de la prochaine comédie musicale inspirée de Chambres en ville (partition de Caroline Néron), ont très mal pris les critiques des juges, estimant qu'on tripe trop sur la danse contemporaine et «l'hostie de graine de Francis Ducharme». Les 6 clés des Samouraïs, expliquées par les motivateurs Francis Bernier et Guillaume Girard, devaient nous apprendre à nous aimer malgré ce que nous sommes: des perdants. Première clé pour accepter les cinq autres... Enfin, Patrice Coquereau, la bouche sèche, a mené un interminable sondage auprès du public pour le compte de Statistique Canada, et Gael, jeune musicien du monde, nous a tout dit des valeurs africaines, tellement meilleures que les nôtres, tam-tam à l'appui.

Des anticorps

On aurait tort de classer le Cabaret insupportable dans la catégorie des shows d'humour qui sont la manne de l'industrie culturelle. C'est peut-être même l'omniprésence de l'humour au Québec qui est en train de fabriquer des anticorps. Les participants de ce Cabaret - tous des comédiens, pas des humoristes - ne cherchent jamais le gag à tout prix, c'est la démonstration qui prime, l'ensemble qui compte. Ce troisième Cabaret s'éloigne en fait de l'humour traditionnel, pour s'attaquer à tous les discours lénifiants qui pourrissent notre quotidien, et ces bonnes intentions qui pavent si bien l'enfer. On y rit de ce qui nous exaspère, non en le dénonçant pour s'allier les spectateurs, mais carrément en l'incarnant pour mieux en faire ressentir le poison. On n'en sort pas si soulagé que ça, puisqu'on se demande, au bout du compte, s'il est possible de s'en sortir... Insupportable!

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Le cabaret insupportable III, les lundis et mardis au Lion d'Or jusqu'au 15 juin.