Homme occupé, comme toujours, Robert Lepage travaille actuellement à un spectacle pour le Cirque du Soleil, un opéra pour le Met de New York et a momentanément repris son rôle dans Le dragon bleu, présenté à Vancouver en marge des Jeux olympiques. Entrevue virtuelle questions par courriel, réponses en MP3 avec le chef d'orchestre de Lipsynch, de retour à Montréal, au Théâtre Denise-Pelletier, dans sa version longue : une quête des origines axée sur la voix, la parole et le langage raconté dans une fresque d'une durée de neuf heures.

Q Certains estiment que ce ne sont pas les yeux, mais la voix humaine qui est le miroir de l'âme. Partagez-vous cette vision des choses?

R Oui, tout à fait, je trouve que c'est une observation juste. J'ai toujours pensé ça. J'ai toujours été mal à l'aise au cinéma quand les gens font des gros plans des yeux et disent que le jeu, ça se passe dans les yeux. Ce n'est pas vrai, surtout pas au théâtre. (...)

C'est beaucoup dans la voix, comment on utilise la voix. J'ai toujours dit que les meilleurs acteurs sont ceux qui ont une oreille musicale. Très souvent, d'ailleurs, les acteurs et les actrices de Montréal qui sont reconnus comme de grands acteurs ont ou bien une formation musicale, ou bien un très belle voix chantée.

Le jeu, l'interprétation, se passe principalement dans la voix. Je travaille souvent à l'opéra et l'une des choses que j'ai apprises à l'opéra, c'est que la théâtralité, c'est l'art d'utiliser sa voix.

Q En mettant l'accent sur la voix et non l'image, quelles pistes nouvelles avez-vous dû explorer sur le plan technique?

R On s'est obligé à être plus sonore, alors on a donné beaucoup de place au gars de son, au concepteur sonore (Jean-Sébastien Côté), qui occupe une place de choix dans la salle. On lui a donné tous les moyens possibles et imaginables pour capter les voix, les traiter, les sonoriser, la musique, le bruitage... Il est devenu un petit peu le principal maître d'oeuvre.

Ce n'est pas qu'il n'y a pas de travail d'éclairages et de vidéo - les gens trouvent qu'on a fait un travail remarquable à ce chapitre -, sauf que c'est une approche qui est radicalement différente. On les a relégués dans les coulisses. On leur a demandé de placer leurs consoles dans les coulisses, à jardin et à cour, alors ils n'ont pas une vue générale sur la scène. Ils doivent faire la régie à l'ancienne.»

Q Les techniciens de plateau ont été intégrés à la représentation. De quelle manière y participent-ils?

R On savait que, en explorant le monde du son, les personnages se retrouveraient dans des studios de doublage ou de bruitage. Que ce serait probablement le lieu principal. (...) On a créé un environnement scénique qui est développé selon les règles de ces studios-là. C'est pourquoi on voit tout. (...) Ce n'était pas pour créer un style, pour faire distancié ou rien de tout ça. C'est vraiment parce que l'univers dans lequel on se retrouve souvent dans le spectacle, c'est un univers où les gens sont seuls et où les techniciens sont à vue.

Q Pouvez-vous nous parler de votre intérêt pour le Théâtre la Seizième, de Vancouver, où vous avez accepté de reprendre le rôle de Pierre Lamontagne, dans Le dragon bleu?

R Vancouver est un point de chute important pour Ex Machina. Très souvent, on y termine nos tournées, ou presque. On sait qu'il y a une communauté francophone importante ici. On joue surtout en anglais, mais on se garde des représentations en français et on peut se le permettre à cause du Théâtre la Seizième, un collaborateur de longue date.

J'ai été remplacé dans Le dragon bleu il y a un moment par Henri Chassé, mais je tenais à le faire à Vancouver. Pour nos amis de la Seizième, mais aussi à cause des Olympiques. On est ici pour un mois et, pendant deux semaines, Vancouver va être une plaque tournante mondiale. C'est important d'y participer.

Q Un journal français affirme que vous aimeriez retourner au «dépouillement» de vos débuts. Que voulez-vous dire au juste?

R Retourner à un dépouillement, on ne peut pas forcer ça. On ne peut pas faire du Robert Lepage unplugged, juste en se «déploggant». Il faut trouver le bon projet pour que ça se prête bien. (...) Ex Machina s'intéresse aux nouvelles technologies, en fait ce n'est pas tant un intérêt pour les nouvelles technologies que pour le nouveau vocabulaire narratif qu'elles amènent.

On n'essaie pas seulement d'épater la galerie avec les nouvelles technologies, on cherche à raconter différemment. Ex Machina demeure un laboratoire, ça demeure de l'exploration. Ce n'est pas seulement nous qui cherchons ces nouveaux outils-là. Souvent, ce sont les gens qui les créent qui viennent cogner à notre porte et nous offrent de les essayer.

Tant que je suis actif avec Ex Machina, ça va être comme ça. Pour faire un Robert Lepage unplugged, il faudrait que je me retire de ce contexte-là pendant un petit moment, que j'essaie de faire quelque chose de mon côté, de plus personnel. Quelque chose qui n'est pas dans la machine Ex Machina.

Lipsynch, de Robert Lepage, du 27 février au 14 mars au Théâtre Denise-Pelletier.