Un bon matin, incapable de dormir, Henri (Michel Dumont) se lève aux petites heures et va faire l'inventaire de son entrepôt. Sa femme, Anne-Marie (Pauline Martin), le rejoint et annonce qu'elle passera au moins la matinée dans ses livres pour payer «les maudites taxes au gouvernement». C'est l'heure des comptes, mais ce n'est que le début. La vie forcera vite ces deux Québécois dans la soixantaine à faire le bilan de leur existence.

Anne-Marie et Henri ont eu trois enfants, tous partis loin du fjord du Saguenay. Aucun d'entre eux n'est proche de ses parents ni ne leur a donné de petits-enfants. Au moins un des trois, Stéphane (Jean-Sébastien Lavoie), n'adhère visiblement pas à leur système de valeurs: il a fait un Vincent Lacroix de lui-même et s'est fait coincer par la police.

L'héritage des baby-boomers

Avec Une maison face au nord, Jean-Rock Gaudreault signe une touchante et pertinente pièce sur le legs. Un peu comme Denys Arcand l'avait fait avec Les invasions barbares, le dramaturge, qui n'a pas 40 ans, s'intéresse à l'héritage des baby-boomers. Il se montre dur avec sa génération (égoïste, opportuniste, etc.), mais n'est pas plus tendre envers celle de ses parents.

À travers Anne-Marie et Henri, c'est le Québec entier qu'il soumet à un examen de conscience. Elle s'interroge sur la transmission des valeurs familiales. Lui, porte comme un fardeau l'échec du plus grand rêve collectif de sa génération: l'indépendance. «C'est comme s'il y avait une promesse que j'avais pas tenue», se désole Henri.

L'attrait - et l'intérêt - d'Une maison face au nord, c'est d'abord ce texte de Jean-Rock Gaudreault. Direct, parfois franchement rude, il cerne avec acuité et une grande sensibilité des enjeux capitaux: l'exode vers les villes centres, la pérennité de l'identité québécoise et l'ouverture aux immigrants. Tout ça dans un drame profondément humain qui, s'il remuera tout particulièrement les spectateurs qui ont l'âge des personnages principaux, sait émouvoir les plus jeunes.

L'émotion, c'est d'abord et avant tout l'affaire de Pauline Martin. Sa Anne-Marie est un volcan de sentiments refoulés qui lui permet d'exploiter toute l'étendue de sa palette de comédienne, de l'humour au tragique. Le reste de la distribution se révèle convaincant, avec mention à Marcelo Arroyo, qui rend son Henriquez (un immigrant guatémaltèque) franchement sympathique.

Toutes ces qualités ne font toutefois pas oublier le point faible de cette production: une scénographie évocatrice, mais sans grâce particulière et une mise en scène trop souvent purement fonctionnelle (signée Monique Duceppe). Les scènes s'enchaînent à un rythme rapide qui ne sert par toujours l'émotion qu'elles renferment - la deuxième rencontre de Larry (Harry Standjofski) et Henri, notamment. Par ailleurs, comme le texte est touffu, on a parfois le sentiment que les personnages (surtout Henri) se déplacent simplement pour éviter de donner l'impression qu'il ne se passe rien.

Une mise en scène plus inspirée aurait-elle permis d'éviter ces écueils? Pour le savoir, il faudrait pouvoir comparer avec celle de Jacinthe Potvin, présentée à Saguenay au début de l'année. Les défauts de cette production-ci limitent peu la portée de cette pièce dure, qui s'achève sur une note lumineuse. Car oui, le monde survivra à la génération du baby-boom.

Une maison face au nord, jusqu'au 5 décembre, chez Duceppe.