Au fil des saisons du téléroman Annie et ses hommes, Guylaine Tremblay et Denis Bouchard ont incarné «le» couple contemporain, avec ses hauts, ses bas et même ses milieux. Les deux comédiens ont surtout développé une façon de jouer ensemble très juste, très fine, et c'est cette chimie singulière qui fait le charme réel de la pièce Ça se joue à deux, dont la première avait lieu mardi soir, au Saint-Denis 2.

Pendant quelques années, j'ai suivi les tribulations du couple Annie et Hugo dans le fameux téléroman Annie et ses hommes, et c'est faute de temps si je n'ai pas tenu jusqu'au bout des sept saisons. Le plaisir renouvelé de l'émission tenait beaucoup à la qualité du jeu et à la connivence entre les deux comédiens, ainsi qu'aux textes qui mariaient humour, compassion et justesse quand il était question de cet étrange animal à deux faces (dans tous les sens du terme!) qu'est le couple.

Les mêmes ingrédients se retrouvent sur scène dans la pièce Ça se joue à deux, bien que ni Annie ni Hugo n'en fassent partie. Pendant près de deux heures (entracte d'une vingtaine de minutes compris), les deux comédiens vont, sans accessoire ni changement de costume, incarner 12 personnages, dont un spermatozoïde, un ovule, un journaliste véreux, et, surtout, surtout, quatre couples, à divers stades d'évolution: depuis l'amour tout neuf jusqu'à celui qui compte six décennies au compteur. Le tout porté par une seule question: pourquoi l'amour naît-il, pourquoi meurt-il? Non, il n'y a pas de réponse à la tombée du rideau.

Cette jolie pièce aux accents humoristiques a été écrite sur mesure pour le tandem Tremblay et Bouchard (qui en signe également la mise en scène) par les auteurs d'Annie et ses hommes, Annie Piérard et Bernard Dansereau. Une jolie pièce qui ne révolutionne rien, c'est vrai, mais qui divertit et incite aussi à la réflexion, sans avoir l'air d'y toucher. Bref, le genre de pièce à laquelle une femme pourra traîner son conjoint qui «n'aime pas le théâtre» parce que tous deux y auront du plaisir. Et c'est important, le plaisir partagé, dans un couple. Avec pour tout soutien deux chaises, une table, un plat de fraises et des éclairages changeants selon le couple (très beau décor de Jean Bard), sans jamais se tromper de personnage, Guylaine Tremblay et Denis Bouchard échangent leurs répliques avec naturel, usant uniquement de leur gestuelle et du timbre de leur voix pour interpréter un couple marié depuis 60 ans, un autre en instance de faire un «beau divorce», un troisième dépareillé par l'âge et le milieu social, enfin un dernier composé de deux adolescents.

Des quatre couples, les deux premiers sont franchement les plus réussis parce qu'ils tablent sur le comique qui survient souvent dans la «vraie vie», chicanes et reproches répétés compris. Le couple dépareillé fait appel, lui, à un humour plus facile (un lecteur de nouvelles et une assistante dentaire qui ont 30 ans de différence d'âge, ça donne évidemment des gags plus éculés) et celui d'ados est le plus caricatural.

Mais le plaisir indéniable que prennent Guylaine Tremblay et Denis Bouchard à jouer ensemble vaut le détour. Ce plaisir et aussi certaines réparties franchement drôles («Branche-toi: sors du placard, rentre dans le placard, mais reste pas devant la porte!») ou qui résument parfaitement bien ce qu'on appelle la dynamique de couple («Comment je vais m'organiser, moi, si t'es plus là pour me désorganiser?»). Au final, si le couple n'en sort pas nécessairement glorieux, il en sort vivant. Et les spectateurs, eux, sortent souriants, bras dessus, bras dessous... jusqu'à la prochaine chicane.

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ÇA SE JOUE À DEUX, présenté au Saint-Denis 2 jusqu'au 7 novembre, puis en tournée partout au Québec.