Il faudrait inventer un mot - ou l'emprunter à Chrétien de Troyes, Paul Valéry, Roland Barthes... ou Johnny Hallyday - pour décrire les deux heures passées en compagnie de Fabrice Luchini, hier soir, au Monument-National.

Le mot spectacle est inadéquat pour décrire l'expérience que ce performeur total nous a fait vivre. One-man show littéraire? Platement réducteur! Ce n'était pas qu'une lecture de textes de grands auteurs, nourrie d'un immense respect de la pensée et des mots justes pour l'exprimer, pas plus qu'un spectacle de stand-up, hilarant comme c'est pas permis. C'était tout cela en même temps, doublé d'une performance sportive de haut niveau. Pensez aux Guy Lafleur et Michael Jordan à leurs meilleurs jours.

À la fin, parce qu'il en fallait bien une, Luchini, qui avait tout donné, a récolté des applaudissements vraiment sentis qui auraient pu durer quelques heures si ce public repu n'avait pas eu la générosité de lui consentir un repos bien mérité.

Le Luchini qu'on a vu hier était tout à la fois en parfaite maîtrise de son art et complètement fou! Un artiste capable de réciter des textes difficiles et de nous en faire apprécier les subtilités sans jamais pourtant donner l'impression de vulgariser. Et qui peut l'instant d'après multiplier les apartés caustiques envers la gauche française «de l'île de Ré et de Saint-Tropez» ou le président Sarkozy, danser à go-go sur l'hymne disco Ring My Bell aussi bien que sur la musique d'inspiration médiévale du film Perceval le Gallois d'Éric Rohmer, nous faire une imitation tordante de Johnny Hallyday «que vous connaissez moins bien, mais qui est quand même une grosse vedette en France», chanter et même faire réciter aux hommes - «un peu violent» - ou aux femmes - «c'est du Vivaldi!» la phrase de Jean Genet: «Assieds-toi sur ma bite et causons.»

Parce que Luchini est un fabuleux animateur de foule qui met tout le monde dans sa petite poche arrière, les «pauvres» du balcon comme les «bourgeois» au parterre. Un merveilleux équilibriste qui fait rire son public à en perdre le souffle puis lui récite des poèmes de Rimbaud dans un silence absolu la minute d'après.

Un tour de force, certes, mais le plus joyeux, le plus ludique, le plus étourdissant des tours de force que j'ai vus. Le genre de spectacle dont on ne se lasserait pas même si on le voyait tous les jours pendant deux semaines.

Ça tombe bien, Fabrice Luchini est au Monument-National jusqu'au 27 septembre. Précipitez-vous-y pendant qu'il reste encore des billets.

Fabrice Luchini, au Monument-National, jusqu'au 27 septembre.