L'un s'appelle Paul, l'autre Benoît. Deux hommes d'âge mûr liés par une amitié aussi fusionnelle que spontanée, déterminés à changer le cours d'une existence qui ne les satisfait plus. Caravansérail aborde la crise de la cinquantaine et en fait le point de départ d'un voyage initiatique à la fois ludique et dramatique.

Route des épices, traversée du désert, caravanes de marchands et de pèlerins, le mot caravansérail évoque des images immanquablement exotiques. L'appel de l'ailleurs, Paul (Paul Savoie) et Benoît (Benoît Dagenais) le ressentent aussi très fort. Désabusés, désenchantés, ils vivent ce qu'il convient d'appeler un coup de foudre amical et décident d'écrire ensemble le prochain chapitre de leur vie. Celui qui, peut-être, corrigera ou effacera tous les autres.

Ce n'est toutefois pas en Orient que leur soif de vivre les portera. Ils rêveront d'abord d'une route des vins du sud de la France - Rasteau, Gigondas, Beaume-de-Venise - avant d'acheter une ferme en ruine dans les environs de Joliette. « C'est une maison qui deviendra le sens de leur vie, le lieu de leur amitié et de leur discorde «, raconte Paul Savoie. Et le point d'ancrage d'une quête ponctuée d'épisodes quasi fantastiques.

Deux amis

Avant d'être partenaires de scène, Paul Savoie et Benoît Dagenais sont eux aussi des amis. De vieux potes qui ont demandé à un troisième, Robert Claing, de leur écrire une pièce. Ce n'était pas une commande officielle, plutôt une envie formulée autour d'un repas et d'une bonne bouteille. « Un an plus tard, on avait un texte », se rappelle Benoît Dagenais.

Que le dramaturge ait écrit sur l'amitié et les interrogations des hommes d'âge mûr semble aller de soi dans les circonstances. Mais Robert Claing, qui fut des quatre cofondateurs du Nouveau Théâtre Expérimental, n'allait pas en faire une simple conservation. Partant du Bouvard et Pécuchet de Flaubert, il a inventé une pièce qui s'apparente à un voyage initiatique dans lequel il s'est amusé à intégrer des clins d'oeil à la réalité.

« Ce n'est pas une pièce biographique, mais elle se sert de l'amitié qui nous lie tous les trois», précise Benoît Dagenais. Malaucène, lieu dont il est question dans la pièce, est le village où Jean-Pierre Ronfard (autre cofondateur du NTE) et Marie Cardinal possédaient une maison. Paul Savoie, comme son personnage, a déjà joué dans Le Cid. Benoît a été enseignant dans un collège, profession qu'exerce toujours Robert Claing.

«Il est intéressant de mettre le monde devant cette ambiguïté-là, mais ce n'est pas capital pour le sens de la pièce», assure Paul Savoie, signalant que la démarche du dramaturge n'a rien à voir avec le jeu de miroirs auquel s'adonnent les artisans de l'émission Tout sur moi.

« La pièce se sert bien sûr de nos âges, ajoute Benoît Dagenais. Et il est vrai que, arrivés à un certain âge, on se demande ce qu'on a fait. Est-ce que j'ai surfé sur la vie ? Est-ce que j'ai raté ma vie ? Où est-ce que tout ça s'en va ?»

Voyage imaginaire

Pièce sur «l'amitié et le sens de la vie», Caravansérail multiplie les références littéraires (Flaubert, Gauvreau, Cervantes, Ferré) et évoque de manière plus ou moins explicite d'autres célèbres tandems masculins : Vladimir et Estragon (En attendant Godot), Don Quichotte et Sancho Pança ou même, clin d'oeil amusant, Astérix et Obélix.

Paul Savoie et Benoît Dagenais, qui n'ont pas souvent eu l'occasion de partager la scène, prennent plaisir à jouer deux amis, bien entendu. Ce qui les réjouit le plus, toutefois, c'est la conviction d'avoir un vis-à-vis solide, capable de prendre toute la place qui lui revient.

L'un et l'autre sont par ailleurs très impliqués dans la mise en scène du spectacle, signée Robert Bellefeuille. « C'est juste mathématique », signale Paul Savoie, précisant que, moins il y a de comédiens dans la pièce, plus ils sont portés à donner leur avis.

Le voyage « sédentaire » de Paul et Benoît sera bien sûr plus suggéré que montré. « Il n'y a pas tellement de place pour des choses réalistes dans le décor, dit Benoît Dagenais, car toute la place est occupée par l'écriture. »

« Je pense que c'est ce que Robert (Bellefeuille) visait : dépouiller le décor le plus possible, que Paris soit dans nos yeux et notre ton, que la vieille maison soit dans nos regards, expose Paul Savoie. Que ce ne soit pas montré. Et les gens vont le voir.»

Caravansérail, du 15 septembre au 10 octobre, au Théâtre d'Aujourd'hui.