«Les entreprises de l'avenir vont ressembler plus à un ensemble de jazz qu'à un orchestre symphonique», écrivait en 1990 John S. Clarkeson. Le PDG du Boston Consulting Group expliquait comment Duke Ellington était devenu l'un des plus grands band leaders de l'histoire du jazz malgré le fait qu'il n'était ni un compositeur de génie ni un grand pianiste. Par contre, peu de leaders se sont montrés aussi sensibles à l'émotion du moment, tant chez ses musiciens que dans l'auditoire. C'est là que le Duke (1899-1974) exprimait tout son art de leader... et de gestionnaire.

Depuis les années 90, la métaphore du jazz a souvent été utilisée par les théoriciens de la gestion qui y voient un important outil de création. On ne se surprendra pas par ailleurs que l'improvisation, l'élément central du jazz, prenne le devant de la scène. Comme dans le livre de John Kao, un professeur de Harvard qui a aussi été le pianiste de Frank Zappa et qui s'est servi de son expérience musicale pour écrire Jamming - The Art and Discipline of Business Creativity (1996). On y lit entre autres que «le rôle créatif du manager consiste à exploiter le paradoxe central de la jam session, la tension, concentrée sur un point mouvant, quelque part entre le système et la créativité individuelle».

«Le jazz est la reconnaissance de la singularité des choses», nous dira pour sa part Alain Robichaud, président fondateur de Robichaud Conseil, conseiller stratégique auprès d'entreprises de pointe tant du secteur privé (Bell, CGI) que public (Desjardins, Hydro). En ces temps de changement, le dirigeant d'entreprise a peine à élaborer des stratégies qui tiennent, explique M. Robichaud, qui est aussi membre du conseil du Festival international du film sur l'art (FIFA).

«Devant la turbulence, le gestionnaire doit miser sur les stratégies émergentes, qui consistent à composer chaque jour avec ce qu'on comprend de la réalité.»

Comme dans le jazz, la musique de l'ici et maintenant où le leader, reconnaissant que son saxophoniste est dans un bon groove, le laissera blower pendant 12 mesures encore. Gérer l'improvisation, comme le faisait le Duke...

Conseiller chez Robichaud, Sacha Ghadiri est chargé des ateliers jazz, ces activités modulables (selon l'entreprise) de «sensibilisation ludique qui tablent sur la capacité des gestionnaires de faire des liens entre jazz et gestion pour en arriver à de nouveaux principes de collaboration».

Aux membres de tels comités de direction, on fait écouter par exemple Kind of Blue de Miles Davis - album capital dont le Festival souligne ce soir le 50e anniversaire avec le spectacle Remembering Miles Davis' Kind of Blue - et on leur raconte l'histoire de cette création mythique.

«Comme le faisait Miles Davis, explique M. Ghadiri (qui enseigne aussi à HEC), le gestionnaire met son équipe en position d'innover à partir d'une structure minimale qui offre le maximum d'espace aux exécutants. Qui s'entendent toutefois sur certaines choses qui ne sont pas négociables: la tonalité, le rythme, les solos.» Et les participants découvrent une façon nouvelle - mais néanmoins sérieuse - de parler de leur réalité quotidienne.

Et prévisible. Tout ouverte qu'elle soit à l'innovation, l'entreprise s'appuie encore sur le prévisible. Rien à voir avec le chaos du free jazz - Ornette Coleman est au FIJM jeudi - où «tout le monde se rejoint sur la dernière note».