Avec Quiet Nights, son tout récent album, Diana Krall nous a refait le coup de The Look Of Love en 2001 et de From This Moment On en 2006, mixtions on ne peut plus fédératrices de bossa nova et de great american songbook, le tout jazzifié pour grand orchestre, le tout arrangé élégamment par le réputé Claus Ogerman.

Pourquoi, après avoir créé l'audacieux The Girl in the Other Room (2004), la chanteuse de Nanaimo est-elle retournée à cette étape de sa carrière qui l'avait propulsée au sommet des chanteuses de jazz, à tout le moins au plan de l'impact commercial? Parce que la zone de confort l'emporte sur les angoisses de la création? Allez savoir, même au-delà de ses propres déclarations...

Or, si cette répétition ad nauseam de la même formule peut être perçue comme un sage retour dans les rangs après une brève incursion dans le vrai monde de la création, on ne peut dire que les deux soirées consécutives de la Canadienne à Montréal avec grand orchestre à l'appui de son trio soient un désagrément. Loin de là.

Pour qui n'a jamais vu Diana Krall with strings (dirigées par le pianiste Alan Broadbent, aussi membre du Quartet West de Charlie Haden), c'est quand même la grande classe.

Hier soir, à la salle Wilfrid-Pelletier, elle entrait en scène, robe noire assez chic, altière sur ses talons.

La grande blonde s'assoit, le swing démarre, le quartette semble bien soudé. Aussitôt les premières rimes énoncées, Anthony Wilson pique un solo, c'est au tour de Diana Krall de s'escrimer sur les ivoires. Elle cite Charlie Parker au milieu de son solo, puis Rob Hurst fait chanter la contrebasse, et voilà les imbrications du batteur Jeff Hamilton. La chanson culmine, jaillit une citation de Miles Davis. Et hop, on en a terminé de Love Being Here With You, madame est contente et rit de bon coeur avant d'être applaudie généreusement.

Le grand orchestre se met alors de la partie, a tôt fait de dérouler la moquette de cordes. Le batteur effleure les peaux, Diana se fait sensuelle. Do It Again, un appel à la chose signée Gershwin. Intro à la guitare, Let's Fall in Love... Le swing et doux, des mains de velours, clapotent avec précision sur un tempo moyen. La pianiste manifeste son contentement à son guitariste, ils reprennent ensemble le bridge façon George Shearing.

Les flûtes et cordes de Claus Ogerman, le standard Where or When se transforme en bossa de luxe, lente et sûre, et pas de piano pendant que madame chante. Elle suggérera néanmoins un petit solo minimaliste, dans les règles de l'art.

À plus d'une reprise, elle remerciera le ciel de travailler avec d'aussi bons musiciens. À plus d'une reprise, elle remerciera la vie d'être aussi bonne pour elle. Et elle nous dira que son mari (Elvis Costello) lui manque, et qu'il viendrait d'atterrir à Montréal. Effectivement, il vient tout juste de débarquer derrière la table de mixage, à deux pas de mon siège. Manière de présenter I've Grown Accustomed To His Face, chanson d'amour selon le point de vue de la tendre moitié.

Le grand orchestre se retire provisoirement, des pièces de Nat King Cole s'ensuivent. Deed I Do, avec une intro très stride. Krall swingue fort, l'attaque est solide, puis la guitare suit, dans l'esprit de l'après-guerre. Le phrasé de la voix est parfait, la dame est habitée par les esprits de ses aïeux, la finale est chuchotée comme la chanteuse sait si bien le faire.

Puis c'est Exactly Like You, avant quoi elle nous a causé de Dexter and Frank, ses fistons jumeaux qui voyagent avec maman dans l'autobus de tournée. «Ils aiment Nat King Cole, ils aiment leur papa.» Le swing redémarre, on s'imagine rouler en grosse Chevrolet sur les autoroutes des fifties.

Un peu plus tard, la musicienne nous offrira une version inspirée de A Case Of You, de Joni Mitchell, l'occasion de nous servir le plus moderne des solos de la soirée.

Et retour au swing endiablé de Devil May Care. Et retour à la bossa royale, gracieuseté de Jobim et Ogerman: Corcovado, devenue Quiet Nights pour le public anglo-américain, tout en délicatesse.

Puis c'est Love Letters, typique ballade de classic pop, rien de plus rassurant. Puis Walk on By, grand cru de Burt Bacharach. Le dernier sprint avec I Dont Know Enough About You, petit problème de main droite au clavier.

Les rappels seront fastes: Too Marvelous For Words et Every Time We Say Goodbye. En plein dans la zone de confort...

Diana Krall est de nouveau en concert ce soir à la salle Wilfrid-Pelletier.