Tout a commencé par un documentaire australien sur les enfants soldats. C'était en 2003, à une période où les gens sortaient dans la rue pour s'indigner contre l'intervention militaire en Irak. L'auteure Suzanne Lebeau, de son côté, se posait tout plein de questions sur le rapport des enfants à la guerre. Le bruit des os qui craquent est né d'une réflexion sur le plus cruel des destins. Une démarche qui a entraîné Suzanne Lebeau jusqu'en République démocratique du Congo.

Suzanne Lebeau les a affectueusement surnommés ses «petits». Eux, ce sont Amisi et Yaoundé. Aujourd'hui, ils sont âgés dans la vingtaine et sont des adultes fonctionnels. De 12 à 17 ans, ils ont fait la guerre dans leur pays natal, la République démocratique du Congo.

Lorsque Suzanne Lebeau s'est rendue au Congo, pour rencontrer Amisi et Yaoundé, elle avait pratiquement terminé l'écriture du Bruit des os qui craquent.

«Ils m'ont donné beaucoup plus que de simplement me permettre de finir ce texte. Amisi et Yaoundé m'ont permis de comprendre que l'instinct de vie est toujours plus fort que l'instinct de mort. Avec eux, il n'y a pas de fausse honte, de faux discours, de fausse pudeur. Ils m'ont raconté les choses sereinement, simplement», évoque Suzanne Lebeau, rencontrée dans la salle de répétition du théâtre Le Carrousel, rue Parthenais.

Grande voyageuse - à 20 ans, elle est partie en Pologne, sans un sou dans ses poches! - cette figure de proue du théâtre jeunesse est avant tout une insatiable curieuse. Avec plus de 25 pièces originales à son actif, l'auteure de Salvador, L'ogrelet et Une lune entre deux maisons figure parmi les auteurs québécois les plus joués à l'étranger.

«Je suis curieuse de l'état du monde, cela me passionne autant, sinon plus, que l'écriture. Je dis souvent que j'écris parce que la Deuxième Guerre mondiale reste dans ma tête une énigme impossible à résoudre.»

À la guerre comme au théâtre

À ses yeux, l'art vivant doit tenir le rôle de «déclencheur». Elle aime le théâtre qui «dit quelque chose», qui bouleverse. Celle qui écrit pour la jeunesse depuis les premières heures du Carrousel (compagnie qu'elle a cofondée dans les années 70 avec Gervais Gaudreault) revendique le droit de dire des choses importantes aux enfants. «Au théâtre, on a le devoir d'être au plus près des émotions les plus bouleversantes, que l'on s'adresse aux enfants, aux ados ou aux adultes.»

Construire la fiction des trois personnages du Bruit des os qui craquent a exigé une fastidieuse recherche sur les enfants soldats. Pour Suzanne Lebeau, ce terrain d'exploration était la confrontation avec tout ce qu'on pouvait imaginer de plus terrible. «Il y a la séquestration, le rapt, la violence verbale et physique, le viol, les conditions de vie insupportables. Au moment où les enfants doivent développer leurs repères moraux, on les place dans une situation intenable.»

De ses cinq semaines à Kinshasa, où elle a entendu les histoires d'Amisi et Yaoundé, Suzanne Lebeau a retenu que la résilience était possible, même chez ceux qui ont vécu le pire. Aujourd'hui, ses deux «petits» sont en France, où ils ont demandé l'asile politique. «À Kinshasa, ils sont harcelés pour se réenrôler dans l'armée. Et puis avec toutes les poursuites dans les tribunaux internationaux, les responsables des enfants soldats cherchent à faire disparaître toute trace compromettante.»

Le bruit des os qui craquent a été présenté dans 16 villes françaises depuis le début de l'année 2009. Par le plus grand des hasards, Amisi et Yaoundé étaient à Paris le jour de la première de la pièce. Suzanne Lebeau a profité de cette heureuse coïncidence pour organiser une exposition des sculptures et marionnettes fabriquées par Amisi, en plus de donner au public la chance de causer avec les ex-enfants soldats.

«La vie sera dure pour eux. Mais quand je les regarde, je les trouve mieux équipés que nos enfants gâtés, pour qui tout est facile et tout cuit. Parce que pour Amisi et Yaoundé, la vie sera toujours moins dure que ce qu'ils ont connu dans leur enfance.»

Le bruit des os qui craquent, de Suzanne Lebeau, mise en scène de Gervais Gaudreault, du 31 mars au 25 avril au Théâtre d'Aujourd'hui.