Disons que vous êtes un fan de Van Morrison, de l'artiste innovateur, immense, qui a créé l'album-monument Astral Weeks à 23 ans, mais aussi du créateur de chansons immortelles comme Moondance, Brown Eyed Girl et Gloria - tous ensemble: G-L-O-R-I-A! Eh bien, vous auriez dû être au WAMU Theatre du Madison Square Garden samedi dernier où Van the Man nous les a toutes jouées, et plus encore, en deux heures et dix minutes d'un concert extraordinaire.

Morrison qui, au fil des ans, s'est fait une spécialité de dérouter son public en ne jouant souvent que son album le plus récent en concert, a décidé l'automne dernier de ressusciter Astral Weeks, son disque mythique, plus jazz que rock selon lui, paru en 1968. Pour d'innombrables bonnes raisons, dont celle de pouvoir enfin le jouer au complet avec un orchestre digne de ce nom - 11 musiciens! Ce qu'il a fait avec bonheur au Hollywood Bowl, deux soirs de suite, en novembre dernier puis à New York vendredi et samedi derniers. Mais ce dont ne rend pas compte l'album live enregistré à Hollywood - un DVD suivra bientôt - c'est la première partie de la soirée, un tour d'horizon éloquent de l'un des répertoires les plus riches de la musique populaire, toutes tendances confondues.

 

En lever de rideau samedi, les 5600 chanceux qui emplissaient le WAMU ont eu droit, entre autres choses, à une Moondance jazzy à souhait, avec Morrison au saxophone, à la jubilatoire Wild Night, à Jackie Wilson Said, l'irrésistible chanson rhythm and blues qui lançait l'album St. Dominic's Preview, à Domino, mais aussi à des classiques du répertoire de Them, le groupe de Belfast qui a fait connaître Morrison. Je pense au doublé Mystic Eyes, avec son harmonica endiablé, et Gloria qui a mis fin au spectacle, mais aussi à Baby Please Don't Go, de Big Joe Williams. Morrison a aussi emprunté la chanson country I Can't Stop Loving You à Ray Charles et - tenez-vous bien! - Comfortably Numb de Pink Floyd, qu'il avait chantée avec Roger Waters à Berlin en juillet 1990. Morrison y chante la partie de David Gilmour, une choriste reprend celle de Waters avec beaucoup de soul, mais disons que le guitariste de Morrison ne menace pas de détrôner Gilmour au panthéon des grands solistes de l'histoire du rock.

Après une très courte pause, Morrison nous est revenu avec la pièce de résistance, Astral Weeks, dont il a modifié quelque peu l'ordre des chansons de l'album d'origine comme sur le live au Hollywood Bowl - ce qu'il ne s'était pas permis la veille. C'était magnifique, une espèce de longue transe musicale, une suite de mantras sur laquelle improvisait constamment la voix chaude de Van Morrison.

Oui, Van the Man était en voix, mais il était tout aussi concentré sur son jeu au piano, au saxophone, à l'harmonica et à la guitare acoustique. Fallait le voir brutaliser littéralement les cordes de sa guitare pour en tirer le rythme voulu puis réclamer aussitôt une autre guitare à son technicien de scène. À une autre époque, pas si lointaine, Morrison-le-bourru aurait cédé à sa frustration et le concert se serait terminé en queue de poisson. Pas cette fois.

Malgré son évidente intensité, l'artiste n'a jamais perdu le contrôle de sa création, dirigeant ce bel orchestre et lui criant, en première partie en tout cas, la prochaine chanson à jouer au gré de ses humeurs et de son sens inné de la séquence d'un spectacle bien construit. Samedi, l'artiste de 63 ans riait de bon coeur et s'amusait comme un petit fou avec ses 14 musiciens et chanteurs, surtout le saxophoniste Richie Buckley.

Pourquoi vous parler d'un spectacle que vous ne verrez pas, si beau soit-il? Parce que Van Morrison le donne encore ce soir et demain au Beacon Theatre de New York, qu'il le reprendra en avril au Royal Albert Hall de Londres, puis à Bristol et Cardiff en juin et qu'il est fortement question d'une tournée américaine l'été prochain. S'il fallait que le Festival de jazz nous le ramène, comme en 2007 et en 1986, ce serait le plus beau cadeau de 30e anniversaire qu'il puisse s'offrir.

C'est le bonheur que je nous souhaite.