Pour la première fois en neuf ans, Céline Dion a donné hier soir un spectacle au Centre Bell, six mois après le début de sa tournée mondiale en Afrique du Sud. Depuis 1981, son imprésario et mari, René Angélil, est au coeur de ce succès planétaire qui s'écrit au quotidien. Quand nous l'avons rencontré à Boston, mercredi, Angélil revenait d'une visite privée du Fenway Park, le stade mythique de son équipe de baseball préférée, les Red Sox, en compagnie de l'agent de Céline, Rob Prinz, qui combat un cancer de la gorge comme celui qui a frappé Angélil en 1999. Conversation avec un homme tenace et l'un des imprésarios les plus connus de la planète.

Q: Votre cancer a dû transformer l'homme, mais aussi l'imprésario?

R: Toute expérience qui te fait penser que tu vas mourir te change. Dans mon cas, ça m'a appris à déléguer un peu plutôt que de tout faire moi-même. Ma priorité, c'est ma famille. Depuis que René-Charles est né, je suis toujours avec lui. Je me reprends pour tout le temps où je n'ai pas été avec mes trois autres enfants. Je suis chanceux qu'ils m'aiment.

Q: Déléguer? Pourtant, vous aimez avoir le contrôle absolu.

R: J'ai de la difficulté à déléguer (rire étouffé). Je suis le meilleur gars pour Céline parce que je la connais, je connais son public. Dans notre équipe, personne ne voudrait que ce soit un autre que moi qui s'en occupe. On a chacun notre job.

Q: Avez-vous commis des erreurs que vous regrettez?

R: J'ai fait des gaffes quand j'étais plus jeune. Mais avec Céline, je ne crois pas avoir fait d'erreur. Ça a été le timing parfait pour elle et moi. Quand je l'ai rencontrée, j'avais 39 ans, j'avais appris de mes erreurs de jeunesse et elle cherchait quelqu'un qui avait de l'expérience et qui voulait bien faire. Moi, j'avais besoin de quelqu'un pour pouvoir rester dans le show-business. J'ai fait très attention parce que j'avais le regard de toute la famille Dion sur moi. Si j'avais fait des erreurs, j'en aurais entendu parler.

Q: Vous avez vite su que Céline pouvait supporter la pression?

R: Elle est comme Maurice Richard, comme les grands athlètes: quand c'est le temps de scorer, elle score. Elle a chanté cinq fois aux Oscars, c'est de la pression, ça! Et c'était toujours bon. My Heart Will Go On, la chanson de Titanic, elle ne l'a jamais aussi bien chantée qu'aux Oscars.

Q: Vous avez accepté d'être le prochain directeur de Star Académie et déjà on prédit de grosses cotes d'écoute et d'importantes ventes de musique. Êtes-vous conscient de votre influence?

R: Oui mais, sincèrement, je suis toujours surpris de la réaction des gens quand ils me voient. Quand j'étais jeune, c'est sûr que j'aurais été impressionné de rencontrer le Colonel Parker (imprésario d'Elvis Presley) ou Brian Epstein (des Beatles), mais dans le fond je ne connais pas ça plus que d'autres, au Québec. Bien sûr, j'ai des contacts partout dans le monde à cause de Céline. L'histoire de Céline est tellement incroyable, c'est Cendrillon qui devient une star mondiale.

Q: Au fil des ans, on vous a associé, à tort ou à raison, à toutes sortes de projets d'envergure, comme celui d'un hôtel-casino de Loto-Québec. En novembre 2000, on a écrit que vous étiez lié à deux groupes intéressés à acheter le Canadien et le Centre Molson, BCE et Quebecor. Vrai ou faux?

R: L'hôtel-casino, je n'avais rien à voir là-dedans. Quant au Canadien, j'étais associé à un autre groupe avec Stephen Bronfman et Dennis Wood (alors propriétaire de la compagnie C-Mac). Le Canadien – Pierre Boivin, Réjean Houle, Pierre Ladouceur – a fait des présentations à quelques groupes, dont le mien. L'offre n'était pas intéressante. Quelques mois plus tard, un représentant du Canadien m'a proposé un deal semblable à celui que George Gillett a accepté tout de suite après.

Q: Vous avez refusé?

R: Oui. Après la première rencontre, ma femme et mes amis m'ont dit que, tel qu'ils me connaissaient, je m'investirais trop là-dedans, et je venais d'avoir des problèmes de santé. Ça m'était donc parti de l'idée. Quand le Canadien m'a appelé, plus tard, on m'a offert un autre genre de marché, très avantageux, mais mon idée était faite. Mais c'est sûr que ça me tentait...

Q: Guy Laliberté vient de vendre 20% de ses parts dans le Cirque du Soleil à des investisseurs de Dubaï. J'imagine qu'on vous a déjà fait des propositions pour Céline?

R: Je n'ai jamais eu une offre suffisante pour laisser aller des parts dans Céline. Le Cirque du Soleil a des spectacles partout et est dans une période d'expansion. Ce deal-là leur ouvre des portes dans plein d'hôtels partout dans le monde. On n'est pas dans la même position.

Q: Vous avez quand même reçu des propositions?

R: Oui. Récemment, on a eu une offre comme celle de Madonna (NDLR: Madonna a signé un contrat clé en main - disques, spectacles, produits dérivés - de 120 millions de dollars pour 10 ans avec le promoteur de concerts Live Nation).

Q: Vous y avez réfléchi?

R: J'ai dit non.

Q: Pour ne pas perdre votre contrôle?

R: Absolument. Mais si j'avais une offre comme celle du Cirque du Soleil, où ça ne serait qu'un petit pourcentage, j'y réfléchirais deux fois.

Q: Vous m'avez déjà dit que la crise dans l'industrie du disque et les chambardements à la tête de Sony avaient joué dans votre décision d'aller à Las Vegas.

R: D'abord, j'avais fait un bon deal avec la compagnie de disques pour Céline avant la crise. Mais quand Napster (NDLR: le site web d'échange de fichiers) est arrivé, j'ai senti que tout changerait et que le monde du spectacle en souffrirait. Pour Las Vegas, j'étais convaincu que c'était la décision à prendre à ce moment-là: il fallait que Céline s'y installe. Et, artistiquement, Céline était contente.

Q: Vous êtes-vous déjà demandé si vous étiez trop exigeant envers elle?

R: Euh... oui. Pas dans le sens où je lui fais faire des choses trop difficiles, mais j'ai peur d'être trop heavy et, parfois, je le suis. Je n'ai jamais pris une décision sans qu'elle ait son mot à dire, même quand elle était petite. Mais il arrive qu'elle soit d'accord avec ma décision, et alors elle embarque à 100%, puis qu'elle s'aperçoive que c'est difficile...

Q: On vous a déjà accusé de manipuler les médias. Comment avez-vous réagi?

R: Moi, je fais juste mon travail: protéger Céline et organiser les choses pour que ça se passe bien pour elle. C'est ça le job d'un manager. Orchestrateur, arrangeur, organisateur, manipulateur, appelle ça comme tu voudras. Je suis comme ça dans tout, avec la compagnie de disques, par exemple, et les médias font partie du show-business... C'est sûr qu'il y a certains médias qui ne sont pas contents parfois.

Q: Vous êtes toujours sensible à ce qui s'écrit ou se dit sur Céline, particulièrement au Québec. Vous n'êtes pas de ceux qui prétendent ne pas lire les mauvaises critiques...

R: Moi, je lis tout. Je ne suis pas contre les critiques, je suis contre la méchanceté, c'est tout. Je respecte le monde et je m'attends à ce que tout le monde me respecte. Mes parents m'ont enseigné ça quand j'étais très jeune. Que les médias aiment Céline ou pas, ce n'est pas grave. Qu'ils disent toutes sortes de choses sur le show, c'est une question d'opinion. Mais quand ils tombent dans la méchanceté, le sarcasme et le non-respect, ça m'écoeure. J'ai l'esprit de compétition quand je fais du sport ou que je joue aux cartes; dans la vie non plus, je ne me laisse pas faire. Si quelqu'un nous écoeure, je ne dirai rien, mais je vais m'en souvenir.

Q: Ce côté bagarreur, vous ne l'avez jamais perdu. Si vous ne l'aviez plus, est-ce que vous vous diriez qu'il est temps d'arrêter de faire ce travail?

R: Peut-être... Mais ça n'arrivera pas. En passant, mon fils René-Charles est comme moi (rires).