L'orage tant craint n'est pas tombé sur le parc Jean-Drapeau, hier soir. Il a plu un petit peu, sans plus. Mais il a quand même tonné. Assez pour agacer Thom Yorke et sans doute une bonne partie des 35 000 fans de Radiohead. C'est que la dernière demi-heure du fabuleux concert offert par le groupe britannique a été troublée par les feux d'artifice présentés à La Ronde.

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Les optimistes diront qu'on a eu droit à deux spectacles pour le prix d'un. Or, une grosse pétarade en plein milieu d'une chanson douce, ça ne fait pas que miner l'atmosphère, ça peut carrément briser la magie. C'est ce qui est arrivé au début de Fake Plastic Tree. Heureusement, les pétards se sont arrêtés avant la finale crève-coeur.

Mais ce fut pire pendant la première chanson du rappel - Faust Arp - que Thom Yorke et Jonny Greenwood ont interprété avec deux guitares acoustiques pour seul accompagnement. Déconcentré, le chanteur n'a pu s'empêcher d'échapper un fou rire au milieu du morceau. «Tant qu'à faire des feux d'artifice, autant les faire éclater à la fin du spectacle», a-t-il ironisé par la suite. Karma Police, un peu plus tard, a dû faire compétition au bouquet final. Une situation ridicule.

Il reste que le meilleur des deux spectacles se tenait sur la scène du parc Jean-Drapeau. Au plan musical, bien sûr, mais aussi au plan visuel. Des tubes lumineux descendant du cadre de scène conféraient au spectacle de Radiohead une esthétique totalement inédite et très avant-gardiste. On était loin de ces pluies de flammèches colorées déjà prisées au siècle de Louis XIV...

Il y a une dizaine d'années une publicité vantant l'album Ok Computer disait qu'aucun groupe ne chantait mieux la fin du siècle. Quatre albums et trois tournées plus tard, on peut affirmer qu'aucun groupe n'incarne mieux que Radiohead tout ce que peut-être le rock au XXIe siècle. Son spectacle, qui a puisé dans le matériel de tous ses disques à l'exception de Pablo Honey, a été à la fois percutant, déroutant, bruitiste, lyrique et profondément poignant.

Ce que le concert d'hier a une fois de plus mis en valeur, c'est l'envergure du langage musical du groupe d'Oxford. Il peut envoûter avec un morceau d'électro hanté comme The Gloaming et ensuite émouvoir avec une power ballade mélancolique comme Fake Plastic Tree sans que rien ne semble décalé, ni déplacé. Il peut hypnotiser avec The National Anthem et, plus tard, balancer des rock déchaînés comme Paranoïd Androïd ou Bodysnatchers, tirée du récent In Rainbows.

Thom Yorke, les frères Greenwood, Ed O'Brien et Phil Selway ont glissé toutes les chansons de leur dernier disque dans le concert d'hier. Ils ont frisé la perfection sur la fort belle All I Need et Nude, deux moments de lyrisme parfait, écouté aussi religieusement que la chose est possible quand on a les deux pieds dans la boue au milieu de 34 999 autres personnes.

Les morceaux plus casse-tête comme Weird Fishes/Arpeggi et Reckoners où le chant ample de Thom Yorke chevauche des structures rythmiques complexes furent d'une étonnante efficacité. La foule a aussi réagi très fort à un autre morceau de bravoure, Jigsaw Falling into Place, marqué par l'interprétation passablement schizo du chanteur.

Les plus mordus n'en croyaient pas leurs oreilles d'avoir droit à une version piano-basse de Like Spinning Plates. Mais ils ont accueilli avec le même enthousiasme que les milliers d'autres fans les hymnes moins obscurs tels Idioteque, My Iron Lung, Lucky et Everything in its Right Place, interprétée à la fin du deuxième rappel d'un autre concert marquant du plus aventureux groupe de rock de la planète.