Il y a trois ans, la comédienne espagnole Victoria Abril a surpris ses nombreux admirateurs et est devenue chanteuse en lançant un album de grandes chansons bossa nova et samba, Putcheros do Brasil. L'an dernier, elle a renouvelé la surprise en lançant cette fois Olala!, collection de grandes chansons françaises présentées dans des arrangements flamenco. Entre olé et olé olé, l'égérie d'Aldomovar en a tiré un spectacle qu'elle vient présenter pour la première fois au Québec. Oh la la, Victoria

De l'avis de la très grande majorité des journalistes masculins qui l'ont rencontrée, Victoria Abril est une séductrice absolue, mutine, coquine, délicieuse, adorable. Qu'en est-il de l'avis de la journaliste femme qui signe ces lignes, à la suite de notre entrevue il y a quelques semaines? Victoria Abril est une séductrice absolue, mutine, coquine, etc. et une fille qui s'y connaît en musique!

Ce n'est en effet pas par lubie qu'elle a choisi de marier flamenco et chansons de Nougaro, Piaf, Gainsbourg, Ferré et compagnie. C'est plutôt une façon de témoigner de sa réalité à elle: «J'ai vécu 23 ans en Espagne, 26 en France, pas une des deux traditions ne tire l'autre, elles sont en équilibre en moi, explique-t-elle avec le plus joli des accents ibériques dans la voix. Pour moi, ce disque n'est pas fait de reprises, c'est plutôt un autre éclairage sur un tableau qu'on croyait connaître: les musiciens de flamenco que j'ai engagés avec (le réalisateur) Javier Limon ne comprenaient pas un mot de français, donc pas une des chansons. Mais ils en comprenaient pourtant l'intention, l'émotion. C'est comme si j'avais décidé de faire des habits de lumière à Elsa (Aragon/Ferré), de faire faire une promenade à Cadix, en Andalousie à La Javanaise (Serge Gainsbourg) ou La vie en rose (Piaf/Louiguy). Ce disque, c'est comme de la couture: j'ai revêtu le mannequin de soie, que j'ai ensuite commencé à broder et à plisser et à assembler sur mesure. Comment dites-vous? Oui, c'est tout à fait cela: je me suis confectionné du prêt-à-chanter!»

Amor y humor

Toutes les chansons conviennent-elles toutefois au flamenco? «Non, pas toutes, poursuit la séductrice de 49 ans. Le flamenco se joue sur un rythme soit binaire, par exemple la rumba ou le tango, soit un rythme ternaire (à trois temps), comme la valse, le fandango, la soleares Le binaire est plus cérébral: l'humour est foncièrement binaire. Le ternaire, c'est plutôt la musique du coeur, celle du tzigane. J'ai donc choisi des chansons françaises plus souvent ternaires, parce qu'elles me touchaient plus. Au départ, j'avais choisi avec Javier 20 chansons et nous en avons fait un concert: 10 chansons d'amour et 10 chansons d'amour et d'humour. Pour le disque, ce sont les musiciens (de flamenco) qui ont choisi les 11 morceaux auxquels j'ai ajouté Les nuits d'une demoiselle, parce que j'y tenais.»

Et on la comprend d'y tenir. Les nuits d'une demoiselle est l'oeuvre de Colette Renard, chanteuse qui reprit dans les années 70 les chansons libertines et gaillardes de France: faites-vous plaisir, allez lire sur Internet ses versions grivoises de Ah! Vous dirais-je, maman et À la claire fontaine Également parolière, Colette Renard a écrit le texte de Les nuits d'une demoiselle, où sont déclinés tous les équivalents possibles à l'expression «faire l'amour», mais du point de vue strictement féminin. Je vous laisse imaginer la version délicieusement polissonne qu'en fait Victoria Abril

«En spectacle, je chante aussi Quatre-vingt-quinze fois pour cent de Georges Brassens, vous savez», ajoute avec chaleur la belle Victoria. Le refrain de cette chanson du grand Georges? «Quatre-vingt-quinze fois pour cent, la femme s'emmerde en baisant. qu'elle le taise ou le confesse, c'est pas tous les jours qu'on lui déride les fesses» Amour et humour mariés

Solamente l'amor

Qu'on ne se méprenne pas: il est aussi question d'amour tout court sur Olala! Parce que c'est par amour que la señorita Abril les a apprises: «J'avais 25 ans quand je suis partie pour Paris par amour et avec ma valise. Mon amoureux avait une discothèque dans laquelle je me suis mise à fouiller: à l'époque, je papotais un peu le français, mais sans plus. J'ai appris à lire et à écrire le français à travers les livrets de ses disques: je me revois près de la fenêtre, à les déchiffrer, parce que c'est toujours écrit tout petit, dans les livrets Je les ai écoutées en boucle, ces chansons, ce sont des souvenirs du passé, importants pour moi Et avant même de les comprendre, j'ai tapé dans le mille: j'ai aimé les plus belles. L'album est fait de chansons anciennes qui ne «caduquent» pas, qui ne vieilliront jamais, je crois»

Pour son spectacle à Montréal, elle compte mêler des chansons de ses deux albums («Nous avons fait plus de 170 spectacles après le lancement de Putcheros do Brasil et nous n'avons jamais eu le temps de vous visiter!») et se produire avec musiciens et danseurs.

«Depuis que j'ai découvert la musique, je ne veux faire que de la musique. Cela fait 30 ans que je travaille (dans le cinéma) pour un public que je ne vois pas, que je ne connais pas. Avec la chanson, c'est concret, c'est la rencontre, c'est la «felicidad» goutte à goutte, le bonheur minute après minute. Car une chanson, c'est mille émotions. C'est le meilleur taux d'intérêt du monde, ça! C'est simple: quand je chante, je suis surpayée, moi!»

Victoria Abril, salle Maisonneuve de la PDA, mardi 29 juillet.