Alors que Juste pour rire planifie une journée d'auditions Open Mic francophone, ouverte à tous (dimanche, à compter de 13 h, au Studio Juste pour rire), La Presse a demandé à des humoristes québécois de raconter leur expérience dans des clubs anglophones, les Open Mic étant associés naturellement au stand-up dans «l'autre» langue. Histoires de performances dans celle de Chris Rock.

«Ladies and gentlemen, Sylvéne Lerock!» Lorsque Sylvain Larocque se fait présenter par un animateur anglophone, dans un club montréalais ou torontois, on croirait qu'il a été rebaptisé! «Au Canada anglais, on magane mon prénom, note-t-il. Et les présentateurs sont toujours un peu sarcastiques envers les humoristes francophones. On a déjà dit, à la blague: mon prochain invité travaille généralement en français, mais fait aussi de l'humour!»

Depuis ses débuts, à l'aube des années 90, Sylvain Larocque gagne sa vie dans les deux langues officielles du Canada... et partout au Canada. «J'ai commencé au Comedyworks, rue Bishop, à Montréal, un peu avant d'entrer à l'École nationale de l'humour, raconte-t-il. C'était ma deuxième maison. Je me présentais lors des lundis amateurs où n'importe qui peut monter sur scène pendant cinq minutes. Quand on est bon, on nous réinvite la semaine suivante. On peut finir par ouvrir le spectacle du stand-up principal. J'ai moi-même déjà été stand-up principal, en 1996.»

Pendant quelques années, Larocque a aussi multiplié les aller-retour Montréal-Toronto, alors qu'il travaillait comme consultant chez IBM, à temps plein. «Mon patron me laissait partir du bureau à 14 h. J'allais alors faire un show à Toronto et je revenais à 4 h. Mais c'est une passion!»

Son parcours anglophone est jalonné de nombreux voyages au Canada, de concours où il a fait bonne figure et même d'une présence sur la scène du Théâtre Saint-Denis, un soir de gala Just for Laughs, en 2000! Depuis plusieurs années, on l'engage dans des événements d'entreprise pour faire de l'humour à la fois en anglais et en français.

Malgré tout, Sylvain Larocque ne délaissera jamais l'humour en français, lui qui écrit présentement un nouveau spectacle solo, qu'il devrait présenter à l'automne 2009, à Montréal. «Le marché anglo-canadien est différent de celui d'ici, explique l'humoriste. Il n'y a pas de star-system. Si on demeure au Canada, on est condamné à rester stand-up jusqu'à la fin de ses jours. À moins d'aller aux États-Unis.»

French Comedy Bastards

C'est dire à quel point des Mike Ward et Maxim Martin, parfaitement bilingues, sont privilégiés. La semaine dernière, les deux humoristes ont d'ailleurs présenté, dans le cadre du festival Just for Laughs, un spectacle baptisé les French Comedy Bastards dans lequel ils ont traduit des numéros autrefois présentés en français. «Ce show n'est pas qu'un projet d'été, surtout que Just for Laughs grossit», soutient Maxim Martin qui pourrait bien travailler à Chicago, un jour.

On rappelle que l'humoriste, qui a fait un détour par la France, ces dernières années, est d'abord monté sur scène à Winnipeg où il a grandi. «À l'époque, l'idée était d'aller ensuite à Minneapolis, raconte-t-il. Mais il y a eu, un jour, des auditions de Juste pour rire à Saint-Boniface, près de chez moi... Je suis donc plutôt venu m'établir à Montréal.»

Maxim Martin ne boude pas son plaisir lorsqu'il monte sur la scène du Théâtre Saint-Denis, mais il apprécie le côté «à la bonne franquette» des Comedy Clubs. «Les salles sont petites, souvent 150 places au maximum, explique-t-il. Dans les loges, il n'y a pas 58 lumières autour du miroir. Aucun technicien ne t'entoure.»

Et faire rire des gens qui ne te connaissent pas serait extrêmement satisfaisant. «Être inconnu ajoute un stress sur scène, note toutefois Mike Ward qui a recommencé à faire la tournée des clubs anglophones, l'an dernier, après un arrêt de huit ans. En français, on me pardonne une mauvaise blague.»

Par ailleurs, il n'est pas rare que Ward se présente devant une poignée de spectateurs. Faut apprendre à laisser son orgueil au vestiaire! «J'ai fait des Open Mic dans le West Island devant quatre personnes. Je ne chiale pas. Je suis le petit nouveau... qui a 15 ans d'expérience.»

Le petit nouveau de 34 ans, au nom irlandais, qui a grandi à Québec. «Je n'ai pas d'accent quand je blague en anglais, mais j'utilise parfois des mots qui n'existent pas, raconte-t-il. Comme «Primary School» au lieu de «Elementary School».

Comme Maxim Martin, Ward voit grand et loin en anglais, lui qui s'est récemment produit à l'Île-du-Prince-Édouard et Londres. Par fierté et non pour l'argent...

Fais-moi rire pour 25 $!

On risquerait, en effet, de perdre quelques-uns de nos humoristes chouchous si les salaires étaient dignes de l'effort mis à écrire leurs numéros. Récemment, Maxim Martin a reçu 50 $ après avoir animé une soirée d'humour en anglais. «Ce n'est pas payant, confirme Sylvain Larocque. Au Comedyworks, on paye 25 $ un numéro d'ouverture le week-end. Ça paye mon taxi! Je vois très mal Louis-José Houde aller travailler pour ce montant d'argent.»

«L'an dernier, après avoir clôturé une soirée, le proprio d'un club a sorti deux billets de 5$ de sa poche, raconte Mike Ward. J'ai refusé! Un show gratuit égratigne moins l'ego! Il faut être motivé pour aller jouer à Ottawa pour 15 $! Mais là, j'ai assez d'argent pour me permettre de faire des shows gratuits.»

Il y a toujours les clubs de la chaîne Yuk Yuk's où il peut être plus intéressant de se produire: 250 $ par show quand on est la vedette de la soirée, multiplié par six quand on se produit six soirs par semaine. Il y a aussi moyen de conjuguer une carrière de stand-up au Canada avec celle de scripteur pour des émissions comme Royal Canadian Air Farce.

Malgré tout, on ne peut s'empêcher de penser que les humoristes francophones sont les plus privilégiés des stand-up canadiens. «Les stand-up anglophones sont des road warriors, estime Larocque. Ils doivent se promener partout. Ils visitent des trous.»

«Au Québec, les gens se déplacent et payent pour nous voir», ajoute Ward. Un baume pour l'ego après un spectacle en anglais!

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L'Open Mic, le 20 juillet, à compter de 13 h, au Studio Juste pour rire. Spectacle avec les candidats choisis, à 20 h.