Pour les personnes à mobilité réduite, assister à un spectacle ou simplement aller au cinéma est loin d'être une sinécure. Chacune de leurs sorties culturelles implique en effet une planification colossale... et le risque de se buter à de nombreuses salles toujours inaccessibles. La Presse s'est penchée sur ce problème, qui touche autant des spectateurs que des artistes en situation de handicap.

Un parcours semé d'embûches

Maxime court les spectacles. À 32 ans, la jeune femme, qui vit depuis toujours avec une maladie rare qui l'oblige à se déplacer en fauteuil roulant, a un agenda culturel plein à craquer. Mais la chroniqueuse culturelle et artiste fait face, tout comme 33 % des Québécois vivant avec une incapacité*, à des barrières quotidiennes pour accéder aux lieux culturels, mais aussi pour pratiquer ses activités professionnelles dans le milieu artistique.

Habituée du festival Pop Montréal, Maxime Pomerleau a donné rendez-vous à La Presse au théâtre Rialto pour le concert du groupe Austra le 14 septembre dernier. Depuis des années, le festival a à coeur de faciliter le plus possible l'accès de tous les spectateurs à ses lieux de diffusion, que ce soit en installant des rampes d'accès en partenariat avec l'organisme AXCS ou en indiquant clairement dans son programme les salles accessibles ainsi que leur plan.

«Beaucoup de salles ont pris le relais et pensent désormais à l'accessibilité. Cette année, notre Quartier Pop a un Stair Trac qui, grâce à son mécanisme à chenille, permet à une personne en fauteuil de monter les escaliers», précise Éric Cazes, directeur des opérations de POP Montréal.

«C'est dans notre mandat d'être le plus accessible possible, mais la charge revient quand même aux propriétaires de salles.»

Malgré les bonnes intentions des organisateurs, Maxime a dû redoubler d'efforts, avec l'aide de son accompagnateur, pour monter et descendre la passerelle à la pente assez raide qui donne accès au parterre du Rialto.

«Je suis convaincue qu'un fauteuil motorisé ou un triporteur ne peuvent pas monter là-dessus. De plus, ça prend absolument l'aide d'un accompagnateur. Et il n'y a pas de toilettes au rez-de-chaussée du théâtre», a précisé la jeune femme, qui a été forcée de se rendre dans les toilettes d'un établissement voisin pendant le concert du groupe Austra.

Une situation à laquelle le Rialto tente de remédier en ajoutant, au cours des prochaines semaines, des toilettes accessibles et conformes aux normes, explique le propriétaire du théâtre, Ezio Carosielli. Impossible, toutefois, d'envisager des travaux pour donner accès au deuxième étage du théâtre aux personnes handicapées. «C'est un immeuble patrimonial et ça poserait problème, notamment sur le plan esthétique, en plus de coûter près de 400 000 $», explique le propriétaire.

Des barrières architecturales



Linda Gauthier, cofondatrice du Regroupement des activistes pour l'inclusion Québec (RAPLIQ), fait régulièrement face à la même réalité elle aussi. 

«Beaucoup d'endroits nous sont "interdits", notamment tous les concerts donnés dans des églises. Je viens de déposer une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse contre Le Balcon, une salle de l'église St. James qui est inaccessible. On reçoit des plaintes tous les mois concernant les salles de spectacles. On dirait qu'il y a un stéréotype à propos des personnes à mobilité réduite qui dit qu'on se couche à 20 h et qu'on mange du mou», lance Mme Gauthier, qui a récemment quitté la présidence du RAPLIQ pour défendre les couleurs de l'Équipe Denis Coderre aux prochaines élections municipales.

Une évaluation de 260 musées et salles de spectacles (subventionnées au fonctionnement par le ministère de la Culture du Québec) menée il y a cinq ans par l'organisme Kéroul montre que de nombreuses barrières architecturales entravent l'accès à la culture des personnes en situation de handicap.

Comment se fait-il qu'en 2017, certains bâtiments ne répondent toujours pas au Code de la construction? «La loi est claire: les constructions datant d'avant 1976 ne sont pas assujetties aux normes d'accessibilité, mais tout bâtiment neuf ou qui a connu des transformations majeures doit être accessible. Mais certains passent à côté! Si personne ne porte plainte, ça va rester comme ça. On a envoyé des rapports à tous les musées et salles que l'on a visités, et certains ont apporté des modifications», explique Lyne Ménard, directrice adjointe de l'organisme Kéroul, qui oeuvre pour le tourisme et la culture pour les personnes à capacité physique restreinte.

La directrice adjointe de Kéroul suggère que les subventions au fonctionnement du ministère de la Culture soient désormais liées au respect des normes d'accessibilité. Il existe également un programme du Ministère afin d'inciter les propriétaires à rendre leurs locaux plus accessibles.

L'obligation de planifier



Les inconvénients que subissent les personnes à mobilité réduite ne se limitent pas à l'accès aux salles. Forcées de réserver leur place dans la section «handicapés» d'avance par téléphone, elles ne peuvent notamment profiter de rabais sur les frais de service, comme ce serait le cas si elles réservaient en ligne. Elles doivent aussi se contenter de places peu avantageuses dans certaines salles.

«On est souvent relégués en arrière ou sur le côté. On a négocié très fort avec la Place des Arts: on payait le même prix que pour la deuxième partie du parterre, mais on se retrouvait dans la rangée ZZ. Il suffisait de retirer un siège ou de laisser la personne se placer en bout de rangée», explique la cofondatrice de RAPLIQ. 

La Place des Arts a finalement apporté des changements et certaines salles comme la Maison symphonique proposent même un vaste choix de places à divers endroits de la salle pour les personnes à mobilité réduite.

Pour de nombreuses personnes en situation de handicap, être accompagné n'est pas une option mais une obligation (pour aller aux toilettes ou monter une passerelle, notamment), qui s'avère aussi coûteuse que contraignante. 

Des salles comme le TNM, l'Usine C ou la Maison symphonique ont souscrit à la vignette accompagnement tourisme et loisir (VATL), qui permet aux personnes inscrites d'avoir à leurs côtés gratuitement un accompagnateur.

«La plupart des festivals et des gros promoteurs comme evenko ne le font pas, malheureusement. Tous les lieux de diffusion culturelle devraient l'honorer», suggère Maxime Pomerleau.

L'heure de pointe, tout le temps



Pour la jeune femme de 32 ans, qui assiste à de nombreuses premières médiatiques dans le cadre de son travail, le plus grand défi est sans doute de devoir composer avec le transport adapté.

«C'est un coup de dés. Il faut toujours multiplier par trois le temps que ça prendrait en transports en commun. Il y a toujours un risque que tu arrives en retard. Dans certaines grandes salles, tu ne peux pas entrer à n'importe quel moment», explique Maxime qui peut toujours compter sur les services d'un taxi, contrairement aux personnes en fauteuil électrique.

«Pour ceux dont le fauteuil ne se plie pas, la question de la planification d'une sortie culturelle est majeure», lance-t-elle.

«Le choix de l'activité va se faire selon l'accessibilité, et non selon les goûts. Personne dans la vie ne fait ça. Pour nous, c'est comme l'heure de pointe tout le temps avec le transport.»

Les personnes à mobilité réduite ne peuvent pas non plus compter sur l'accessibilité de la ligne verte du métro, sur laquelle se trouve le Quartier des spectacles, ni sur la ligne jaune menant au parc Jean-Drapeau, où aucun ascenseur n'a été installé malgré les nombreux festivals qui y sont organisés. 

«Avec les festivals l'été, ça n'a aucun sens que la Place des Arts ne soit pas accessible en métro», s'indigne Maxime Pomerleau qui, en accompagnant une amie à un match du Canadien la semaine dernière, n'a pu compter sur la plateforme élévatrice de l'autobus qui était défectueuse

«Au lieu d'attendre l'autobus accessible suivant, je suis descendue de mon fauteuil pour le monter moi-même dans le bus. J'ai la chance de pouvoir le faire, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Des personnes en situation de handicap veulent consommer de la culture, mais elles ne le peuvent tout simplement pas», dénonce la jeune femme.

Alors que la STM a annoncé que les travaux pour la construction d'un ascenseur au métro Place des Arts débuteraient en avril 2018, La Place des Arts procédera à l'étude de faisabilité d'un accès pour arrimer la station à l'entrée qui se situe près de la salle Wilfrid-Pelletier. «On espère arriver à mettre en place un échéancier d'ici Noël. Il faut trouver une solution pour rendre accessibles les escaliers menant à la Place des Arts», explique Johanne Lamoureux, directrice des communications et du marketing de la Place des Arts.

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* Proportion des Québécois âgés de plus de 15 ans qui ont une incapacité, liée à la vue, à l'ouïe, à la parole ou à la mobilité, selon les chiffres recensés par l'Institut de la statistique du Québec.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Habituée du festival Pop Montréal, Maxime Pomerleau, qui se déplace en fauteuil roulant, a donné rendez-vous à La Presse au théâtre Rialto pour le concert du groupe Austra le 14 septembre dernier. Malgré toutes les bonnes intentions, de nombreuses barrières subsistent pour les personnes à mobilité réduite.

Les bons et moins bons élèves

Avec l'aide de l'organisme RAPLIQ, La Presse a répertorié les salles les plus accessibles en ville, mais aussi celles qui pourraient améliorer leur accès aux personnes à mobilité réduite.

LES BONS ÉLÈVES

Musée des beaux-arts de Montréal

Entièrement accessible dans l'ensemble des salles d'exposition, le MBAM offre gratuitement l'entrée aux personnes à mobilité réduite et à leur accompagnateur (sous réserve d'une preuve d'invalidité). Le musée met à la disposition de sa clientèle toutes les informations qui pourraient être pertinentes à ce sujet.

Maison symphonique

Entièrement accessible, la Maison symphonique reconnaît la vignette d'accompagnement touristique et de loisir (VATL) et donne accès à un appareil d'aide à l'audition aux personnes qui en ont besoin. Il est possible de réserver des places à divers endroits dans la salle pour les personnes à mobilité réduite. Son site internet est l'un des plus complets que nous avons consultés.

Théâtre du Nouveau Monde

Le TNM est entièrement accessible et reconnaît la VATL. Des places au parterre, près de la scène, sont réservées aux personnes handicapées. Le théâtre fournit des écouteurs pour amplifier le son au besoin.

TOHU

Entièrement accessible et proposant plusieurs choix de places dans la salle aux personnes à mobilité réduite, la Tohu vend des billets à moitié prix aux clients handicapés et à leur accompagnateur. Une décision qui devrait ravir les principaux concernés.

Photo Alain Roberge, La Presse

Musée des beaux-arts de Montréal

À AMÉLIORER

Parc Jean-Drapeau

Il est complexe pour les personnes à mobilité réduite d'atteindre ou de quitter ce site où se déroulent plusieurs festivals en été. Il est notamment impossible d'accéder au site en métro puisqu'il n'y a aucun ascenseur. Des plaintes ont été déposées cet été concernant le manque de toilettes accessibles et la mauvaise signalisation sur le site pour les personnes handicapées. De l'entrée du site à la plateforme réservée, il faut compter quelques minutes de marche, ce qui peut être complexe dans certains cas. Aucun tarif préférentiel pour les accompagnateurs n'est proposé pour les évènements qui s'y déroulent.

Théâtre Ste-Catherine

Une rampe amovible peut être installée pour accéder à la salle, sur demande. Les toilettes ne sont toutefois pas accessibles aux fauteuils roulants. «Je ne veux rien savoir des rampes amovibles, lance la cofondatrice de RAPLIQ, Linda Gauthier. Les salles devraient être accessibles en permanence, surtout avec les aides disponibles au niveau provincial et municipal. Elles peuvent aller chercher jusqu'à 10 000 $.»

Rialto

La rampe amovible utilisée est réputée dangereuse, car elle est abrupte. Un fauteuil électrique lourd ne peut l'emprunter. Les toilettes du rez-de-chaussée ne sont pas accessibles, mais des travaux sont en cours. Le deuxième étage du théâtre est totalement inaccessible.

M Télus

Le nouveau Métropolis, entièrement rénové, dispose d'une rampe d'accès sécuritaire. La salle est accessible, mais les toilettes qui se trouvaient auparavant au rez-de-chaussée ne le sont plus. Il faut aller au restaurant adjacent, relié à la salle par un couloir intérieur, pour se rendre aux toilettes en fauteuil roulant. Il n'y a pas de places réservées dans la salle pour les handicapés et la vision est limitée, car la plupart des spectateurs sont debout.

Photo David Boily, La Presse

Le Rialto

Des artistes à part entière

Maxime Pomerleau ne s'est jamais définie comme étant handicapée et a toujours voulu travailler dans le milieu culturel.

Originaire de Jonquière, elle a déménagé à Montréal il y a 12 ans pour faire un baccalauréat en animation et recherche culturelles à l'UQAM. «Au début, je travaillais plus en événementiel et en production. Mais des amis qui ont poursuivi leur cursus en cinéma m'ont amenée devant la caméra», se souvient l'interprète de Batwheel, superhéroïne du court métrage du même nom, où elle vole au secours de personnes handicapées.

Un projet qui lui a permis de s'indigner avec humour du sort que réserve la société aux personnes à mobilité réduite et qu'elle a lancé à la Cinémathèque québécoise, un des seuls endroits accessibles et à la portée de son budget à Montréal. 

C'est d'ailleurs là qu'elle a donné rendez-vous à La Presse pour discuter.

Chroniqueuse culturelle pour le site MatTV.ca et à la radio, la jeune femme est aussi interprète depuis 2014 pour la compagnie Corpuscule Danse et comédienne. Elle a notamment joué dans Prends-moi, un court métrage d'Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin. Elle sera également de la distribution de la série Fubar - The Age of the Computer, dès novembre, sur les ondes de City.

«Il y a certes un problème au sujet de la diffusion culturelle, mais aussi de l'accès à la culture: il est difficile de reconnaître que les personnes à mobilité réduite ont une culture si elles n'ont pas l'opportunité de la diffuser.»

La jeune artiste déplore que la plupart des scènes et salles de répétition ne soient pas accessibles à tous. «J'ai couvert pas mal de festivals de cinéma. Toutes les salles sont accessibles, mais la scène où je vais participer à un panel, par exemple, ne l'est pas. Tout comme le bar hot où vont se dérouler tous les événements de réseautage. Ce qu'on m'envoie comme message, c'est que ce n'est pas pour moi.

«J'ai fait partie d'une résidence dans le cadre du Festival TransAmériques cette année et une rencontre a eu lieu à l'Édifice Wilder, dans un local de répétition qui était inaccessible. Après un dédale de couloirs, je me suis retrouvée devant des escaliers menant à un immense local neuf! J'étais estomaquée et insultée. C'est inadmissible quand il s'agit d'un immeuble neuf!», observe-t-elle. 

Studios inaccessibles 



Après vérification, La Presse a pu constater que deux des six studios situés dans les locaux occupés par Les Grands Ballets canadiens de Montréal au sein de l'Édifice Wilder ne sont pas accessibles. Martin Roy, chargé du dossier à la Société québécoise des infrastructures du Québec, explique cela par «des contraintes physiques imposées par le bâtiment». Il assure que la Régie du bâtiment a donné son aval aux plans de l'édifice, qui respecte ainsi le Code de construction.

«Les artistes professionnels en situation de handicap existent. L'art-thérapie et des organismes extraordinaires font un travail incroyable. Mais les personnes handicapées qui chantent ou dansent ne sont pas seulement dans le milieu communautaire!»

La jeune femme signale également que la majorité des scènes des salles de spectacles qu'elle a fréquentées n'étaient pas accessibles, tout comme la plupart des gradins réservés aux médias dans les grands festivals. «C'est humiliant de devoir quémander pour faire mon travail», dit-elle.

Maxime Pomerleau croit que les artistes et les producteurs devraient penser plus souvent aux spectateurs en situation de handicap dans leur processus créatif. «Avec des spectacles déambulatoires comme Vice & vertu  [présenté par la compagnie Les 7 doigts à la SAT], réfléchit-on au parcours en considérant les personnes à mobilité réduite? C'est une responsabilité des artistes et des promoteurs d'être plus inclusifs, tout comme les médias devraient mettre de l'information là-dessus dans leurs critiques ou prépapiers. Ça normaliserait le fait qu'il y a des personnes à mobilité réduite qui vont y aller. Et ça montrerait aux personnes concernées qu'elles sont les bienvenues. Mais ce n'est pas le cas. Pourtant, ça concerne 33 % de la population...», conclut Maxime Pomerleau.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Maxime Pormeleau (à droite) en répétition pour un spectacle de la compagnie Corpuscule Danse, en 2016